Le portefaix du stade municipal

Publié le 28 Juin 2015

Quelquefois, quand je vais au parc municipal des sports, il y a un petit homme sur le côté, qui s'entraîne à faire des poids et haltères. Il est plutôt trapu, musclé, bien fait de sa personne. Il porte et reporte des charges à un rythme effréné, sans jamais faillir. C'est curieux. J'imagine qu'on pourrait se dire qu'il s'agit d'un pervers, ou un exhibitionniste. Mais je ne pense pas. Il est plutôt jeune, et il regarde les gens passer avec plus de curiosité que de convoitise. Il porte des charges fabriquées main, composées de pierres ou de gravats, qu'il enroule ensuite dans du tissu - comme des poings pansés. A la fin de chaque séance, il va les mettre sur le côté. Je l'ai regardé faire... Il tourne d'abord autour du court de tennis numéro sept, et puis il regarde partout, comme pour bien vérifier qu'on ne le suit pas. Une fois rassuré sur ce point, il s'enfonce dans le petit bois. Là, il va cacher son bien sous des buissons, dans des broussailles. (Je le sais, j'ai eu l'occasion de tomber dessus.) En agissant comme ça, il me fait penser parfois à un personnage de contes de fée... Qui cacherait ses pierres dans les bois, sous les broussailles, pour être sûr qu'on ne les retrouve pas. Et qui ensuite viendrait les rechercher, d'une fois sur l'autre. Il passe des heures comme ça, sous le cagnard, au stade, à soulever ses charges qui pèse deux fois son homme, avec un air de fier-à-bras. Et il regarde les gens - comme s'il voulait vous signifier que jamais, au grand jamais vous ne serez aussi fort que lui. Alors, quand il va dissimuler ses pierres à la fin, il me fait penser à une sorte de farfadet, grandi dans ces tours d'immeuble, que la société du regard des autres aurait peu à peu contraint à endosser des habits de petit poucet1 pour donner corps à sa mythologie concentrationnaire et désoeuvrée.

1 short et petites tennis souples, haut de cycliste moulant

Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #Journal

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