Publié le 28 Septembre 2012

 

    Deuxième nuit. Je me dis d’emblée : ne serait-il pas intéressant d’écrire une nouvelle dans un hôtel ?... Un veilleur de nuit, qui découvrirait, disons, quelque chose de bizarre, ou bien qui discuterait avec des gens bizarres ?… J’y pense et puis j’oublie. Tous les ressorts de la narration m'ennuient. Je souffre d’un manque évident de formalisme pur. Je souffre de tout ce qui me retient de m'exprimer au grand jour. Alors, en attendant, du fond de cet hôtel où je veille la nuit, je regarde les gens passer.
    Lorsqu’on les voit entrer, on n’est jamais bien sûr qu'ils vont arriver jusqu’à mon hôtel. Il y a tellement de portes, sur le côté, de couloirs adjacents, que les gens peuvent bifurquer à tout moment. Il y a par ailleurs un autre hôtel qui se situe un peu plus loin, dans le passage (le Ronceray ***). Je les ai pourtant bien visionnés. Quand ils rentrent, ils s'avancent d'abord sur le carrelage. C’est comme s’il y avait une sorte d'instabilité dans ce passage, de volatilité due à l'ancienneté. J'imagine que c'est à cause de l'atmosphère, un peu diffuse, de l'ambiance dix-neuvième siècle. On a le sentiment d'être dans une perpétuelle brume. A l’image d’un voyage que l'on accomplirait dans une autre époque, j'ai l'impression que chaque pas risque de les mener vers un autre cadre. Et que chaque boutique dans laquelle il serait amené à rentrer pourrait s'avérer être un décor qui correspondrait à cette même boutique dans un autre temps.   

     A venir :  Veilleur de nuit (III)

     Précédent :  Veilleur de nuit (I)  

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Rédigé par leboldu

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Publié le 26 Septembre 2012

 

    « Tout se répond. La lecture des classiques, qui ne parlent jamais de soleils couchants, m’a rendu intelligibles bien des couchants, dans toutes leurs nuances. Il existe un rapport entre la compétence syntaxique, qui permet de distinguer les différentes valeurs du cependant, du mais et du néanmoins, et l’aptitude à comprendre le moment où le bleu du ciel, en fait, est vert, et quelle part de jaune peut renfermer le vert-bleu du ciel.

     C’est au fond la même chose, que l’aptitude à distinguer et celle à « subtiliser ». Sans syntaxe, pas d’émotion durable. L’immortalité est une fonction du grammairien. »

F. Pessoa, Le livre de l’intranquillité, fragment 228

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Rédigé par leboldu

Publié dans #lectures

Publié le 14 Septembre 2012

 

    Me voilà installé. Je suis assis derrière un haut secrétaire en bois, façon guichet d'employé des postes, au siècle dernier. Je l’ignore encore mais un peu plus de dix ans plus tard, j'occuperai à peu près la même situation. J’aurai commencé à "faire carrière" dans l’hôtellerie, sans même m’en rendre compte, comme ça devait probablement être écrit dans mon cv : tout écrivain qui n'a pas encore trouvé son lectorat se doit d'endurer au moins dix années dans le hall calfeutré d'un hôtel de charme. Me voilà contraint de m’y plier, pour une bonne décennie entrecoupée de jobs miteux dans l'animation, l'œnologie, ou la haute voltige photographique. Je suis veilleur de nuit à l’Hôtel Liszt, passage Jouffroy, 9ème arrondissement. Rien d’extraordinaire ne devrait m’arriver... Probablement de temps à autre un client saura pimenter la routine des rondes que je dois accomplir, toutes les deux ou trois heures. Mais à part ça, il me faudra me contenter du cachet dix-neuvième de cet hôtel avec son hall lambrissé, ses chambres toutes dissemblables, et ses clients plus ou moins triés sur le volet. Ici on aime le vieux... Il faut se le dire. Même les téléphones sont à l’ancienne, avec leur combiné recourbé, et certains fauteuils seraient dignes d’entrer au musée Grévin. (Enseigne qui se trouve être notre voisine, en passant.) L’hôtel n’est pas informatisé. On a renoncé à y mettre des ordinateurs depuis qu'on a développé les charmes du planning en carton au format A3. J'ai l'impression de vivre dans une autre époque. Il suffit du reste d’arpenter le passage Jouffroy pour se sentir projeté dans un autre siècle. En longeant les vitrines de ses boutiques hors du temps, avec leurs vieilles cartes postales, leurs stands de BD vintage, leurs jouets en bois manufacturés... Je réalise alors, dans un éclair de morbide lucidité, que quel que soit le lieu où j'ai été sur terre, j’aurais toujours voulu être ailleurs. Je voudrais marcher là en passant par ici. Je voudrais manger ça en croyant boire ceci. Ne serai-je donc jamais content là où je suis ?
 

    Ce post entame une série de textes sur le « job » de veilleur de nuit. 

Veilleur de nuit (II)

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Rédigé par leboldu

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Publié le 4 Septembre 2012

 

     Je voudrais dire un mot du « style international ». Cette expression m’est venue lorsque j’ai écrit Abel Fourchaumes, l’histoire d’un fils de diplomate qui vit une grande partie de son enfance à l’étranger, et se heurte ensuite au cauchemar de la vie moderne. Il s’agit pour moi d'un style de vie que l’on rencontre régulièrement, en voyageant, ou en observant les gens, au travail ou dans les transports. C’est un style moderne, occidental, dans la mesure où il correspond aux comportements ambivalents de nos «contemporains», prisonniers de leur moule de consommateur moyen. L’homme de type international est un homme qui prend souvent l’avion, il aime voyager – même si ce n’est pas tant la sensation de dépaysement que celle de se trouver en transit qui le caractérise. Il respire l’aisance, le confort, dans lequel le monde le confine, l’abreuvant de petits déjeuners continentaux, de room deluxe with the view lake, etc... Tout est prodigué pour le mettre au maximum de son potentiel de servitude, des tablettes s’avancent, au-devant de lui, des plateaux recouverts de victuailles, à grands renforts d’entrecroisements de pinces, de crochets, de robots s’ébrouant pour lui apporter thés, cafés et viennoiseries. Il est confit de contentement. Il sait que plus rien ne dirige le monde, désormais, qu’il n’est qu’un actionnaire conciliant d'un système capitaliste, et que de vouloir en brandir la baudruche pour le pointer du doigt n’est qu’un leurre – un leurre à la mesure de ce qu’il en est devenu complice, d’ailleurs. 

 

En écriture, l’homme de style international est une notion à définir. Il faut préciser que l’écrivain de style international est perceptible chez toutes les nationalités. On peut aussi bien trouver des plumes internationales sous la patte d’un anarchiste italien, que chez un hédoniste sud-américain. Tout est affaire de référentiel. L’écrivain de style international a définitivement renié la notion d’art pour accepter les compromissions du marketing. Il l'a intégré à lui. Il a conscience que nous ne sommes qu’une toute petite partie d’un Tout, qui s'avance bien malgré nous, et qu'il n’a aucune prise dessus. Se retrouver dans cette situation le légitime, d'une certaine façon. Il est nihiliste, cynique, sans réelle ambition. Il crache sur la société de consommation, tout en s'alimentant à ses sources (c'est par son biais qu'il vend ses livres). Il n’y a pas plus fourvoyé et en même temps plus cynique que l’écrivain de style international. Il n’a plus aucune indépendance. Son style est volontiers branché, cool, décontracté. Il use de formules familières pour vous faire comprendre que vous êtes dans la même mouise que lui, que vous êtes son ami, même, et ainsi vous rendre complice du processus d'annihilation dont il se rend coupable (j’aime assez l’expression : « on a gardé les cochons ensemble » pour qualifier son style). L’écrivain de style international vous emporte dans son monde, il vous dit : tu ne peux plus rien faire, moi non plus, alors viens rejoindre avec moi tous les perdus, les battus d’avance, de toute façon nous sommes tous dans le même bain !... Il a tout vu, tout fait, dans toutes les positions. Conséquence de la société de la libération des moeurs dans laquelle il grandit, il affiche une sexualité débridée (lui et ses narrateurs).

 

Passé ces quelques exigences, l’homme de style international accuse un air un peu contrit. Il sait qu’il ne peut rien faire – mais il l’accepte. Il a le cul entre deux chaises. Ecartelé entre les nécessités de son art et les besoins du marketing, il compose. Dans l'un de ses meilleurs livres (La littérature sans estomac), Pierre Jourde montre de quelle façon un auteur comme F. Beigbeder use de ce grand écart pour faire alterner les phrases virtuoses de grandes évidences ronflantes, avec les clins d’oeil malicieux d’homme revenu de tout. En ex-cador de la publicité, l’homme a de la bouteille. Il a toute l'expérience pour exercer ce double-jeu, et rivalise de hardiesse pour mieux faire passer derrière sa figure de hipster les éclairs de lucidité d'ancien pubard à qui on ne la fait pas.

 

En dernier lieu, l’auteur international pointe le banquier du doigt. Il pense que le banquier est le grand responsable de tout. Je lui ai opposé la figure de mon vigoureux banquier, Abel Fourchaumes, dans un roman qui ne paraîtra peut-être pas avant 2025. L’homme international pâtit de ses lorgnettes déformantes sur la réalité, et il dresse un bouc émissaire à la mesure de ses petites compromissions. Il pointe du doigt le financier, comme on le ferait pour le trader, le patron du CAC 40, ou le gros actionnaire. C'est pour se dédouaner de ses propres contradictions (de consommateur compulsif, de pollueur moyen, d'occidental rongé par la culpabilité). Le banquier n'est pourtant bien souvent qu’un gratte-papier de plus, qui essaie de trouver un sens à sa vie, et il ne se comporte guère plus quand il véhicule nos bons à échéance que comme le discret porte-serviette de nos petites malversations.

 

Suite : La dictature du cool

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Rédigé par leboldu

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