Je voudrais dire un mot du « style international ». Cette expression m’est venue lorsque j’ai écrit Abel Fourchaumes, l’histoire d’un fils de diplomate qui vit une grande partie de son enfance à l’étranger, et se heurte ensuite au cauchemar de la vie moderne. Il s’agit pour moi d'un style de vie que l’on rencontre régulièrement, en voyageant, ou en observant les gens, au travail ou dans les transports. C’est un style moderne, occidental, dans la mesure où il correspond aux comportements ambivalents de nos «contemporains», prisonniers de leur moule de consommateur moyen. L’homme de type international est un homme qui prend souvent l’avion, il aime voyager – même si ce n’est pas tant la sensation de dépaysement que celle de se trouver en transit qui le caractérise. Il respire l’aisance, le confort, dans lequel le monde le confine, l’abreuvant de petits déjeuners continentaux, de room deluxe with the view lake, etc... Tout est prodigué pour le mettre au maximum de son potentiel de servitude, des tablettes s’avancent, au-devant de lui, des plateaux recouverts de victuailles, à grands renforts d’entrecroisements de pinces, de crochets, de robots s’ébrouant pour lui apporter thés, cafés et viennoiseries. Il est confit de contentement. Il sait que plus rien ne dirige le monde, désormais, qu’il n’est qu’un actionnaire conciliant d'un système capitaliste, et que de vouloir en brandir la baudruche pour le pointer du doigt n’est qu’un leurre – un leurre à la mesure de ce qu’il en est devenu complice, d’ailleurs.
En écriture, l’homme de style international est une notion à définir. Il faut préciser que l’écrivain de style international est perceptible chez toutes les nationalités. On peut aussi bien trouver des plumes internationales sous la patte d’un anarchiste italien, que chez un hédoniste sud-américain. Tout est affaire de référentiel. L’écrivain de style international a définitivement renié la notion d’art pour accepter les compromissions du marketing. Il l'a intégré à lui. Il a conscience que nous ne sommes qu’une toute petite partie d’un Tout, qui s'avance bien malgré nous, et qu'il n’a aucune prise dessus. Se retrouver dans cette situation le légitime, d'une certaine façon. Il est nihiliste, cynique, sans réelle ambition. Il crache sur la société de consommation, tout en s'alimentant à ses sources (c'est par son biais qu'il vend ses livres). Il n’y a pas plus fourvoyé et en même temps plus cynique que l’écrivain de style international. Il n’a plus aucune indépendance. Son style est volontiers branché, cool, décontracté. Il use de formules familières pour vous faire comprendre que vous êtes dans la même mouise que lui, que vous êtes son ami, même, et ainsi vous rendre complice du processus d'annihilation dont il se rend coupable (j’aime assez l’expression : « on a gardé les cochons ensemble » pour qualifier son style). L’écrivain de style international vous emporte dans son monde, il vous dit : tu ne peux plus rien faire, moi non plus, alors viens rejoindre avec moi tous les perdus, les battus d’avance, de toute façon nous sommes tous dans le même bain !... Il a tout vu, tout fait, dans toutes les positions. Conséquence de la société de la libération des moeurs dans laquelle il grandit, il affiche une sexualité débridée (lui et ses narrateurs).
Passé ces quelques exigences, l’homme de style international accuse un air un peu contrit. Il sait qu’il ne peut rien faire – mais il l’accepte. Il a le cul entre deux chaises. Ecartelé entre les nécessités de son art et les besoins du marketing, il compose. Dans l'un de ses meilleurs livres (La littérature sans estomac), Pierre Jourde montre de quelle façon un auteur comme F. Beigbeder use de ce grand écart pour faire alterner les phrases virtuoses de grandes évidences ronflantes, avec les clins d’oeil malicieux d’homme revenu de tout. En ex-cador de la publicité, l’homme a de la bouteille. Il a toute l'expérience pour exercer ce double-jeu, et rivalise de hardiesse pour mieux faire passer derrière sa figure de hipster les éclairs de lucidité d'ancien pubard à qui on ne la fait pas.
En dernier lieu, l’auteur international pointe le banquier du doigt. Il pense que le banquier est le grand responsable de tout. Je lui ai opposé la figure de mon vigoureux banquier, Abel Fourchaumes, dans un roman qui ne paraîtra peut-être pas avant 2025. L’homme international pâtit de ses lorgnettes déformantes sur la réalité, et il dresse un bouc émissaire à la mesure de ses petites compromissions. Il pointe du doigt le financier, comme on le ferait pour le trader, le patron du CAC 40, ou le gros actionnaire. C'est pour se dédouaner de ses propres contradictions (de consommateur compulsif, de pollueur moyen, d'occidental rongé par la culpabilité). Le banquier n'est pourtant bien souvent qu’un gratte-papier de plus, qui essaie de trouver un sens à sa vie, et il ne se comporte guère plus quand il véhicule nos bons à échéance que comme le discret porte-serviette de nos petites malversations.
Suite : La dictature du cool