Publié le 23 Novembre 2012

        Le souvenir de mes soirées à l’hôtel Liszt se résume donc à ces longues nuits de veille, passées à scruter dans le couloir, et à attendre. La lumière, peu à peu, s'estompait. Aux environs de vingt-deux heures, un gardien dont j’ai oublié le nom passait pour éteindre les luminaires, et plongeait le passage dans un éclairage très fin de siècle. On voyait tout au bout de la galerie le quadrillage en forme de herse de la grille. Progressivement, le calme investissait le passage, et l'étrange boyau de carrelage devenait très silencieux. On entendait du bruit à cinquante mètres. Au plafond, les verrières brillaient. Le parfum du bouquet de fleurs déployé dans le hall me parvenait aux narines. Je prenais place sur le canapé. Un interrupteur en forme de poire me permettait d’ouvrir le portail à distance. La galerie était alors plongée dans une sorte de léthargie pesante. Lumière diffuse, silhouettes qui passent et qui repassent dans le lointain, halo de lumière trouble du passage. Sonneries qui se répètent. Et puis nuits qui se répètent, bien sûr, nuits de Chine ou d’empois, nuits de lassitude et aux paupières lourdes, nuits blanches ou en pointillés. Ouverture des portails, mouvement des portes qui se referment, silhouettes des gens qui s'avancent dans le couloir. Fermeture puis réouverture des portes. Obligation de se lever pour aller leur ouvrir, et puis ensuite aller se recoucher. J’entendais quelquefois, comme une interférence, les échos de la rue en provenance des grands boulevards. Des bruits qui me paraissaient se rapprocher, au fur et à mesure que la résonance les répercutait dans le passage. Et puis j'apercevais le chassé-croisé des voitures, qui provenaient des grands boulevards, et dont les phares allaient et venaient en pinceaux de lumière, comme la lampe torche d'une patrouille de police qui aurait décidé d'y plaquer ses feux pour y chercher un fuyard ou un voleur.

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Publié dans #Journal

Publié le 19 Novembre 2012

 

Comme elle me semble loin, cette haute terrasse
Où nous passions ensemble les soirs d’été torride
Parmi les maisons blanches et les azulejos
D’un vieux mas andalou dont les rues étaient vides

Au loin planait la mer, dans son manteau de bruine
Qu’un croissant de lune mauve transperçait, comme un isthme 
Repris par le symbole, en haut de la colline,
De l’union de l’islam et du catholicisme
 
Seul nous faisait de l’ombre le pic de l’église
Flanqué par ses deux dômes, aux écailles en tuile mauve
Dont les rotondités, sous la cloche soumises,
Donnaient à la terrasse un air feutré d’alcôve
            
Ainsi passait le temps, dans un silence prude
Imprégné par la mer, et les chants liturgiques,
Que ne troublaient qu’à l’heure, au petit matin rude
Les battements de cloche du curé extatique.

Valencia, 2003

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Publié dans #Poésie

Publié le 12 Novembre 2012

   

     Dans mon quartier, il y avait un jeune dealer qui faisait du trafic, juste en bas de chez moi. De l’herbe, du shit, de la coke, tout ce qu'il pouvait. Il avait une grosse barbe marron, qui devait cacher des cicatrices, et des yeux noirs profonds. Il allait régulièrement en prison. Soit parce qu’il se faisait dénoncer, soit parce qu’un car de flics l’emmenait au moment où il exhibait trop ostensiblement ses savonnettes sur le trottoir, ses incarcérations étaient aussi régulières que redoutées. Chaque fois qu’il ressortait, il était encore plus déterminé qu’avant à entamer sa rédemption. Pour tout un tas de bonnes raisons, qu’il proférait à qui voulait bien l’entendre, Abdenur changeait alors de visage... Il avait l’air d’avoir pris de bonnes résolutions. Il vous parlait, le coeur sur la main, ou la main sur le coeur, c’est selon, en faisant des salamalecs. J’avais un ami chez qui il passait de temps à autre. Il prenait des airs de philosophe pour s'adresser à lui, caressant sa barbe, comme si elle était enduite de lotion parfumée. Il fumait la chicha. Il parlait de lancer une affaire dans le négoce. Il vous racontait des histoires du bled. Des histoires pas forcément reluisantes, mais qui montraient que lui aussi avait eu un passé, avant, « qu’il avait été un enfant…». Il avisait avec un air hébété les mouches qui voletaient autour de lui. Pendant ce temps, l’eau dans le réceptacle à chicha bouillonnait. Mon ami proposait : « Un petit pastis, Abdenur ?... Une anisette ? » Mais Abdenur prenait un air contrit pour lui répondre. Non, disait-il, il ne buvait plus d'alcool. Il avait pour ça une expression très imagée – que j'ai l'impression de l'entendre encore prononcer, en en parlant, et qu’il semblait lui coûter de dire : « L’eau, la source de la vie, mon ami... » disait-il, et il le répétait. Ce soir-là, comme prévu, mon ami lui proposa un verre d'apéritif et il lui dit : « Non, mon ami, juste de l’eau… la source de la vie. » Puis il le répéta. Mon ami demanda alors à sa copine d'aller lui chercher un broc d'eau, sans conviction. Abdenur acquiesça, et il tapota du bout d'une main sur la carafe : « Tu sais, mon ami, dans la vie il y a des moments où il faut savoir se remettre en question. Se tourner vers les choses essentielles, tout ça... Le shit, les petits trafics, c’est fini pour moi. Je vais me tourner vers des occupations plus gratifiantes, comme le commerce, ou l’aide aux personnes âgées, que sais-je… On ne peut pas vivre toute sa vie comme ça de petits expédients. C'est pas bon pour le karma... ». Et il lui faisait alors signe pour trinquer avec lui de loin, avec son verre d'eau, et il répétait : « L’eau... la source de la vie...». Et le lendemain, il était en prison. 

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Publié dans #Journal

Publié le 7 Novembre 2012

 

« Prenez donc tout de moi : le sens de ces poèmes

Non ce qu’on lit, mais ce qui paraît au travers malgré moi

Prenez, prenez : vous n’avez rien.

Et où que j’aille, dans l’univers entier,

Je rencontre toujours

Hors de moi comme en moi,

L’irremplissable vide

L’inconquérable rien. »

 

Valéry Larbaud, Barnabooth (Le don de soi-même)

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Publié dans #lectures

Publié le 1 Novembre 2012

       Quand la porte s’ouvrit, deux hommes entièrement vêtus de blanc apparurent. Seules deux marches étaient encore visibles, qui descendaient à partir du pas de la porte dans un grand univers blanc. Les hommes portaient des robes blanches, des cheveux blancs, peut-être même des barbes blanches s’il n’avait été impossible, dans ce blanc vaporeux, de les distinguer de leurs robes. Ils avaient l’air de sages, sortis de je ne sais quel concile ecclésiastique – et, tout en conversant, se faisaient mille politesses pour se laisser passer l'un l'autre. Presque simultanément, un troisième homme apparut, lui aussi vêtu de blanc, derrière eux. La même scène recommença, avec la même affectation, les deux premiers invitant le troisième à passer devant eux avec d'autant plus de salamalecs que celui-ci semblait plus important.

     Au bout du compte, l’un des deux premiers posa le pied sur la seconde marche, ce qui eut pour effet d’en faire apparaître une troisième en contrebas. Pour le moins rassuré – il était donc possible de s’aventurer plus avant dans cet escalier–, le troisième s’avança en direction de la troisième marche. Il s’apprêtait à en tester une quatrième, lorsqu’un quatrième sage apparut dans l’embrasure. Derechef, les politesses recommencèrent, avec maintes révérences et force prosternations, et le quatrième homme n’était toujours pas parvenu sur une hypothétique quatrième marche que deux autres hommes faisaient leur apparition.

     Aussi loin que je m’en souvienne, trente-trois hommes sortirent de cette porte, dont on ne voyait rien d’autre sourdre qu’une lueur noire, dans cet univers blanc. Et à chacun échouait la charge d’aller se poster jusqu’à une énième marche – pour, se retrouvant devant le choix de poser le pied sur la suivante, s’en tirer par le truchement d’une politesse. Trente-trois hommes par un, par deux, parfois même par trois, qui surgissaient de la porte en importante conversation, devisant probablement de hautes matières philosophiques, et ne semblant pas se soucier le moins du monde de là où ils allaient – visiblement plus préoccupés par là d’où ils venaient.

     Et puis, je me vis. J’étais seul. Dans l’embrasure de cette porte, j’apparus. Je portais un habit noir. En dessous de moi, les trente-trois ecclésiastiques étaient postés, sur le rebord de chaque marche, et m'invitaient à descendre. Je descendais, d’ailleurs, je descendais sans même m’en rendre compte. J’allais vers la fin de cet escalier. Ce ne fut qu'à mi-chemin que je compris l'absurdité de ma démarche. Il n’y avait personne, derrière moi. Personne à qui je pourrais m’en remettre lorsque, arrivé en bas, je serais devant le choix de poser le pied sur une hypothétique trente-quatrième marche. Je n’aurais même pas le recours d’une ultime politesse.

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