Là où les tigres sont chez eux

Publié le 13 Avril 2016

« L'imagination n'est fertile que quand elle est futile »

Nabokov

Par bien des aspects, ce livre ressemble au Manuscrit trouvé à Saragosse, de Jan Potocki. On y retrouve des références chères aux Mille et une nuits, à Dom Quichotte, aux contes à tiroirs, dans un cadre de voyages implanté tout autour de la mer Méditerranée. Mais Blas de Roblès y adjoint une histoire contemporaine qui, tout en ne constituant peut-être pas le meilleur morceau du livre (l’érudition de la partie baroque sur le jésuite Athanase Kircher est plus réussie), donne une dimension moderne au récit. Par là même, l'auteur pointe du doigt des défauts inhérents à la construction de certains romans contemporains. Les personnages semblent dépendants d’idéologies qui les dépassent… Le héros, Eléazard von Wogau, est empêtré dans une marée de bons sentiments. Incarnant une sorte de dandy malgré lui, il pourrait par moments rappeler la grâce du cynisme désenchanté du consul d'Au-dessous du volcan, s’il ne choisissait le camp du nihilisme. D’une manière générale, les personnages semblent désespérément postmodernes, incarnant par leurs prises de position un peu contradictoires un discours dans l’air du temps dont l'auteur n'est à mon avis pas dupe.

Dans le même temps, J.M. Blas de Roblès nous narre en filigrane les aventures rocambolesques d’un jésuite du nom de Athanase Kircher. C'est la meilleure partie du livre. L’auteur excelle à recréer son personnage de jésuite érudit, qui s’est toujours trompé sur tout, mais n’en a pas moins été célébré à son époque, accompagné en toutes circonstances de son Sancho Pança de bénitier, Caspar Schott. La partie sur Kircher est d’autant plus jouissive que l'on peut s’amuser à en vérifier l'authenticité par la suite.

Moralité : plus un auteur excelle dans la recréation du passé, moins il se compromet dans les affres du présent. La partie Renaissance est suffisamment réussie pour qu’on tourne les pages avec avidité. Je déplore que Blas de Roblès ne se soit pas plus immiscé dans la boue du contemporain – comme il le fait davantage avec son livre suivant : L'île du point Némo. Là où les Tigres sont chez eux est néanmoins un livre solide, déroulant les deux pans d'une même Histoire dans des intrigues aux consonances parallèles, et jouissant de l'imagination fertile et de la luxuriance d'une époque qui - semble nous dire l'auteur - est morte et révolue.

Ed. Zulma

Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #lectures

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