pensees

Publié le 24 Janvier 2023

  

    « Nous voyons bien qu'il y a un problème de viseur... Nous accusons l'homme d'être le responsable de tous les maux, et sans doute n'avons-nous pas tort sur ce point (car à défaut d'en être la cause unique, nous les avons accélérés), mais c'est toujours avec un traitement exagéré que nous le faisons. Et je crois que c'est parce que nous le regardons avec des yeux médiatiquement modifiés (images catastrophistes à la télé, vidéos de files d'attente interminable devant les hôpitaux pendant le covid, flammes géantes sur les cartes virtuelles dans les incendies lorsqu'ils sont représentés au JT), non avec les nôtres. Il y a désormais un glissement qui s'opère entre ce qui est réel, et ce que nous ressentons, par le biais d'affects médiatiquement transmis. Et il y a donc une déformation de la perception que nous avons du réel, sous l'effet du prompteur médiatique.»

Sur la Désincarnation, p.78

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Rédigé par le boldu - blog littéraire

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Publié le 15 Novembre 2022

​       

        « Nous arrivons ici au cœur de ce qui constitue mon développement sur la Désincarnation. Notre capacité n’est jamais aussi grande, de nos jours, que de parler de ce que nous ne connaissons pas, de ce que nous n’avons pas vécu, ou de ce qui relève d’un passé qui ne nous a pas touchés personnellement, mais dont on nous a rebattu les oreilles, à l’école ou dans les média. Dans la seconde partie du 20ème siècle, notre environnement médiatique, productif et symbolique a concouru à nous entretenir dans cette bulle de culpabilité : nous analysons désormais le passé avec les œillères de notre époque, les guerres avec la culpabilité de nos gênes, et l'esclavagisme avec la repentance de nos ancêtres. Nous classons les colonisations dans la catégorie des crimes contre l'humanité. Et la moindre conquête du moindre pouce de terrain dans une ingérence au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Nous pérorons comme des coqs de basse-cour aussitôt que les droits d'une quelconque minorité ont été bafoués, ou qu'une association qui ne nous a jamais touchés de près ou de loin se voit menacée. Parallèlement à cela, l'avènement des nouvelles technologies entérine la décomposition de ce qui nous liait, physiquement (une même communauté de personnes), en nous éloignant les uns des autres. Chacun pour soi, et à chacun sa grande cause sur les réseaux sociaux ! En découle l'ahurissante propension à nous partitionner en communautarismes discriminants, pour nous illustrer. Quitte à prendre une cause facile – et d'autant plus facile que de la prôner virtuellement ne mange pas de pain... Cela donne lieu aux invraisemblables rassemblements de foule sur internet, ou aux lynchages médiatiques qui s'ensuivent sous l'impulsion de ces communautarismes : les féministes, les vegans, les LGBT, les juifs, les noirs, les racistes, les bobos, les anti-bobos, les survivalistes, les tradis, etc […] 

Dans les dernières années, il n’y a jamais eu ainsi autant de romans policiers que depuis que la criminalité réelle a diminué dans nos contrées. Il en est de même pour le terrorisme. Il n'y a jamais autant de phobies médiatiquement entretenues que depuis que le nombre de maladies réelles a reculé. Ni autant de fakes que depuis que les moyens de répandre prétendument la vérité ont émergé. Alors, d'où vient cette prolifération de la fausseté – dans un monde qui est a priori guidé par la volonté de faire le bien ? Pourquoi déployons-nous autant d'ingéniosité à tout exagérer, si ce n'est par une tendance terrifiée par le vide de notre nature qui entend créer des événements, là où il n'y en a peut-être plus ? [...]

Le destin de tout un pays semble désormais pendu aux lèvres de l'hydre de l'Information ?... Dans les écoles, on remplace l'histoire par la stigmatisation, la géographie par le développement durable, et la science par le tri des déchets. On tue l'initiative ; on encourage au petit. On endort, on atrophie. A la télé, les séries nous entretiennent dans la peur de la criminalité urbaine, avec l'idée qu'il pourrait y avoir un pervers pédophile multirécidiviste à chaque coin de rue. Les méchants sont toujours d'anciens nazis, ou des trafiquants d'organes venus de pays scandinaves élevés dans une atmosphère crépusculaire de bout du monde. Plus de soixante-dix ans après la Shoah, nous parlons toujours d'Adolf Hitler comme du plus grand criminel que la terre ait jamais porté, et on recourt volontiers dans les discussions au cas désormais d'école du point Godwin.

L'histoire – l'histoire médiatiquement orchestrée – semble nous entretenir dans un tel état de psychose qu'il paraît inimaginable que nous puissions penser en dehors du scénario qui a été prévu pour nous. Nous sommes bloqués par le passé, tétanisés à l'idée qu'un nouvel holocauste puisse se reproduire, paralysés par la névrose qu'instille en nous le catastrophisme ambiant (« Nous avons détruit la planète ! », « Le colon blanc est à la source de tous nos maux », « Les transhumanistes de la silicon valley sont en train de transformer le monde en une gigantesque matrice ! »). Pourtant, si nous voulions absolument rechercher un coupable, et désigner à tout prix le Mal, ce n'est peut-être pas sous le vocable de « nazi » qu'il faudrait le désigner, mais plutôt sous celui de « média ». Car ce sont probablement eux qui sont davantage responsables de notre situation, que les circonstances en général, ou que l'être humain en particulier. Mais encore faudrait-il pouvoir les circonscrire, ces « média »... Car nous en faisons tous partie, à partir du moment où nous cliquons, forwardons, répétons. Dès lors, notre analyse des distorsions de notre système est non seulement approximative, mais elle omet de nous inclure dans le cahier des charges. Car il est plus facile de désigner un ennemi au loin, et qui plus est enfoui dans un passé nébuleux, que de se regarder en face. Nous sommes, de ce fait, inconscients de la part active que nous jouons dans la destruction de notre société, et de ce que nous avons intériorisé comme réflexes qui concourent à notre autodestruction... Et nous devenons peu à peu étrangers au réel, car il ne nous parle plus, mais de plus en plus sensibles aux couches de fictions qui ont été apposées par-dessus pour tenter de lui donner un semblant de mordant. »

Sur la désincarnation, p. 87

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Publié le 1 Novembre 2022

     

        « Dans un tel contexte, il semble plus pratique de promouvoir des produits de niche, c'est-à-dire des biens culturels destinés à une clientèle préétablie, plutôt que de prendre des risques. Cette clientèle vit depuis longtemps sous perfusion des mêmes sources d'informations, dans un univers prédéfini, ou en tout cas dans une bulle que la société des médias a façonnée pour elle (entendre ici les média au sens large, c'est-à-dire les média d'information + les média objets). Représentations de l’actualité, storytelling, bulles financière et informationnelle, contribuent à nous renvoyer l'image d'une société que nous finissons par juger acceptable (ou, en tout cas, conforme à une certaine réalité que nous avons fini par nous représenter comme telle, parce que nous n'avons guère le choix : c'est ce que les média nous renvoient en permanence – et qu'un imposant système de publicités, d'ingénierie sociale et de presse ciblée relaient abondamment). Mais cette vision des choses est évidemment biaisée ou, en tout cas, très parcellaire. Elle n'est qu'un bain dans lequel nous vivons. Et, même si nous savons confusément que l'on nous ment, ou que l'on nous entretient dans une toujours même mixture, nous pressentons aussi qu'on ne peut pas faire grand-chose. Mille millions de regards portés sur les multiples couches de fictions qui nous abreuvent au quotidien ne peuvent pas nous permettre de percer à jour le « mensonge originel ». Ou, pour reprendre une image peut-être plus postmoderne, ne nous servent qu'à nous renvoyer le même mirage, reflété à l'infini... Les médias se sont substitués à nous. Ils ont pris la place de notre perception. Le réel s'est évaporé, derrière les écrans, dans les limbes du virtuel, au-delà du perceptible – à l'image du sdf que nous croisons chaque jour devant le métro, et que nous ne voyons plus. Pour la plupart, nous ne nous mettons plus en branle pour ça. Parce que ce n'est qu'une toute petite partie du Tout, escamoté derrière les écrans, derrière les fractales, les fondus enchaînés, et que nous nous préoccupons plus de ce qu'il y a devant nous, sur nos écrans, que de ce qu'il y a autour. Ce qui est évidemment un dérivatif pratique, pour masquer le réel. Cela nous permet de passer à côté, de le laisser à part, ou de l'escamoter dans ce qu'il a de trop sordide, ou de dérangeant. La réalité, parfois, est devenue trop violente, ou simplement trop extérieure à nous (du fait que nous avons l'habitude de nous en extraire, pour nous retrouver devant des images), pour que nous nous en préoccupions, prioritairement, et il semble en effet préférable de l'escamoter derrière des représentations de la réalité plutôt que de nous y confronter de visu. Cette tendance est particulièrement perceptible pour les générations Y et suivantes, qui n'ont pas forcément eu une expérience physique aussi marquante que les précédentes, ayant grandi avec le virtuel, et peuvent de ce fait percevoir le réel comme une agression, ou une injure faite à leur intégrité. 

Si on voulait dater ce phénomène, nous pourrions dire que nous avons commencé à « perdre le fil du réel » à partir du moment où nous avons commencé à cautionner ce système de tacite complicité qu'est le système médiatique. Baudrillard en parle dès les années 80, lorsqu'il évoque que le monde des images a commencé à précéder, dans notre perception, le réel. Cette conscience existait donc déjà à l'époque, mais elle était encore minoritaire, et dans l'esprit de certains intellectuels, et le virtuel n'était pas encore aussi prédominant. Il nous semble aujourd'hui plus facile de le montrer du doigt, quand ce monde nous submerge, et fait de nous ses intermédiaires. Ce monde est celui du forwardage, de la consanguinité, des objets de communication-rois. Ce monde décrète que si vous n'avez pas un bon réseau, vous n'existez pas. Ce monde, nous baignons dedans, mais nous ne pouvons pas faire grand-chose. A chaque fois que nous prenons un selfie, relayons une information sans intérêt, ou faisons une chose dont nous savons pertinemment au fond de nous qu'elle n'a pas grand sens, nous cautionnons ce système du vide communicationnel ambiant. »

Sur la désincarnation, p. 68

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Publié le 4 Octobre 2022

 

Dans le sillage de mon essai sur la Désincarnation

 

La « crise » du coronavirus a entériné le phénomène de la désincarnation auquel on assiste depuis des années. Sans qu'il y ait le moindre doute sur le fait qu'un virus existe, l'exagération de sa gestion, et l'énorme bulle médiatique qui s'en est suivie, nous ont fait basculer dans une sphère à laquelle, probablement, nous aspirions. Tous les jours, on nous raconte l'histoire du coronavirus. Jusque là, rien que de très normal. Le storytelling est le fait de l'information, depuis des années, et créer de l'information à partir de pas grand-chose est devenu une manne (du moment que ça rapporte.) Les média sont toujours sûrs de trouver des récipiendaires dans nos ouïes de citoyens avides de feed. Nous avons faim de réel, de choses qui se passent. (Raison pour laquelle, probablement, la production de fictions sans grand enjeu se porte aussi bien, ces dernières années : il y a assez de fictions dans le monde de l'information pour nous rassasier de ce point de vue-là). Tout cela, nous le devons à notre société de l'information, qui nous a peu à peu dépossédés de notre regard critique, de notre capacité de recul, à regarder les choses dans leur ensemble – en nous amenant à adopter ses points de vues, et ses repères cognitifs. (Selon une expression familière, nous avons souvent « la tête dans le guidon ».) Mais la gestion qui a été faite du coronavirus a encore enfoncé le clou dans la « planche déjà bien savonneuse » du réel. Un réel qui ne nous semble parfois plus exister, sous les tombereaux de recommandations contradictoires qui nous sont assénés pour tenter de nous donner le change. Nous sommes de plus en plus perdus, désorientés par ce réel1, et nous avons de plus en plus l'impression, sous l'injonction de ces recommandations contradictoires 2, de nous sentir « habillés » par le virtuel – un peu comme on dirait de quelqu'un qu'il a été « habillé pour l'hiver »... Le monde de l'information nous a progressivement transportés dans une dimension qui ne dit pas son nom, mais qui nous alimente, sans cesse, et ce même si elle peut paraître mensongère jusqu'au dernier des mots qui est prononcé pour entretenir la « psychose ». Tout cela a déjà été dit par d'autres. Beaucoup d'observateurs se sont déjà relayés, dans le cours du 20ème siècle, pour nous prévenir de l'épuisement du « réel ». Mais ils n'auraient pas pu imaginer qu'on donnerait un tel coup dans la fourmilière, en se contingentant soi-même, en se saucissonnant, et bientôt même en se bâillonnant au sens propre par le port du masque. Les conséquences sont désastreuses. Nous n'en pointons pour le moment que les conséquences économiques, ou physiques. Mais celles psychologiques seront probablement bien plus graves. Je crois qu'on ne peut pas dire à un homme de se taire, d'accepter de rester chez lui derrière un écran, ou de porter un masque comme s'il y avait un danger dans chaque particule d'air qu'il respire, sans que quelque chose d'irrémédiable se produise. Sans que la paralysie, l'appréhension des autres, ou les conséquences psychologiques qui en découlent ne pointent leur nez. J'écris ça de derrière mon écran, comme tout le monde, où j'ai été consigné pendant des mois. Mais je ne suis pas le seul. Des millions d'autres personnes ont depuis le début de cette « crise » été assignés à demeure, maintenus dans une position infantilisante, et encouragés à ne plus bouger pour satisfaire aux préconisations de notre société de la peur, sans que la moindre contrepartie ne leur soit proposée autre que de récriminer, derrière un écran. (Car nous savons très bien que toute entreprise de mécontentement sera aussitôt réprimée, si besoin physiquement.) C'est sans doute ce qui est le plus important... Tout ce que l'on réprime aujourd'hui, soyez en sûrs, finira va ressurgir. Il y a bien des années que cela fermente. Les violences, les jeunes dans les banlieues, les sans-emploi qui vivotent... Croyez-vous vraiment que tout cela puisse tenir éternellement sous le couvercle de la casserole ?... Peut-on imaginer que d'imposer des règles de plus en plus drastiques, même dans le cadre d'une épidémie, en faisant peur à sa population, en la déresponsabilisant, ou encore en lui expliquant qu'on va privilégier les plus fragiles pour hypothéquer les perspectives du plus grand nombre dans l'avenir, puisse parler à un peuple ? Plaider en sa faveur ?... Nous ne faisons que dégrader les conditions de ceux qui en ont vraiment besoin  et, si nous ne sommes pas en période de guerre, contrairement à ce que notre président a prétendu, la désagrégation du monde physique, ou plus exactement son effritement, va poursuivre son cours. Il va nous préparer à des lendemains de bouleversements qu'il faudra nécessairement comptabiliser ou, à tout le moins, médicamenter. (C'est l'alibi véritable des soi-disant « crises » dont on nous rebat les oreilles depuis trente ans, et qui en réalité ne s'enchaînent que du fait de la mauvaise gestion de nos dirigeants). Le refoulé arrive, à grands pas... Sous la forme de violence, de résurgences du monde physique, de règlements de compte sur fond de névrose médicamentée. La gestion du covid peut être vue comme un moyen de nous chloroformer, à long terme, en nous incitant à penser qu'à chaque problème qui se présente, il existe une solution, si possible médicamenteuse (et dans médicamenteuse, n'oublions pas qu'il y a « menteuse »). Mais le réel subsiste, par en-dessous, à travers la loi de la reproduction, l'instinct de survie, et les principes biologiques qui nous gouvernent. Il est encore difficile de prévoir ce qui va se passer. Une révolution aura-t-elle lieu, comme celle qui est préconisée par les transhumanistes, prônant un revenu minimum pour tout le monde, afin de neutraliser les plus dépossédés, et garantir un accès illimité aux technologies pour endormir tout le monde et continuer à ne faire que consommer ?... Ou bien assistera-t-on à un lent et inexorable effritement de ce monde physique, tel que nous l'avons connu, de tous les métiers qui avaient encore du sens, enracinés dans le réel, et produisant de la valeur tandis que la plupart des jobs recensés de nos jours sous le nom de « bullshit jobs »3 ne s'arrêteront plus de proliférer, entretenant le renflement toujours plus aérophagique de notre bulle virtuelle, bulle qui ne pourra dès lors plus faire que grandir, à partir du moment où tout le monde sera plus ou moins incité à rester chez lui, derrière un écran ?... La question reste ouverte... Mais il n'est peut-être pas innocent de se dire que nous sommes chaque jour les artisans de sa réponse.

 

(Journal, 2020)

 

1 qui est fugace, qui nous file entre les doigts

2 Mets un masque, garde tes distances, consomme mais réduis ta consommation d'énergie

3 par l'anthropologue David Graeber

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Publié le 20 Septembre 2022

« Les preuves de la désincarnation sont pour moi multiples. C’est le premier sentiment que j’ai éprouvé lorsque j’ai commencé à écrire. L'idée que quelque chose m'échappait pour appréhender le réel. On pourrait ramener ça au problème de la dématérialisation. Ou de la déréalisation, au sens où l'entendait Philippe Muray. Mais il semble que celui de désincarnation est plus adéquat. Il englobe l'idée d'une vie de moins en moins vécue par les hommes. De désappropriation de notre expérience, au profit de tout un faisceau d'appréciations et de jugements qui ne nous sont dictés que par notre environnement socio-médiatique. Ce que nous ressentons, de toute évidence, c’est qu’il y a quelque chose qui nous échappe. Quand nous pensons à ce que nous sommes, à nos rapports humains, nous sommes bien obligés d’admettre que nous sommes de moins en moins là où nous sommes. Nous sommes de plus en plus branchés sur des ordinateurs, sur des écrans, ou encore pendus aux oreillettes d’un appareil quelconque. Mais ce n'est pas que cela. Nous vivons de plus en plus dans une sorte de bulle. Déconnectés de la réalité par la sphère « médiatique » dans laquelle nous vivons, par les influences que nous subissons, par les œillères que nous nous mettons. Nous extrapolons, pensons ou exagérons souvent trop. Nous nous servons d'arguments qui ne sont pas les nôtres, ou qui sont issus d'une autre époque, pour monter en épingle des revendications qui ne nous appartiennent pas, ou qui ne nous servent qu'à nous fabriquer une personnalité de commande. Dans les rues, nous passons à côté les uns des autres sans nous voir. Bientôt même, nous nous poussons sans nous voir. Comment en sommes-nous arrivés là ?...»

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Publié le 24 Mars 2016

« Voir, percevoir ou utiliser un prolongement de soi-même sous une forme technologique, c'est nécessairement s'y soumettre. Ecouter la radio, lire une page imprimée, c'est laisser pénétrer ces prolongements de nous-mêmes dans notre système personnel et subir la structuration ou le déplacement de perception qui en découle inévitablement. C'est une étreinte incessante de notre propre technologie qui nous jette comme Narcisse dans un état de torpeur et d'inconscience devant ces images de nous. En nous soumettant sans relâche aux technologies, nous en devenons des servo-mécanismes. Voilà pourquoi nous devons, si nous tenons à utiliser ces objets, ces prolongements de nous-mêmes, les servir comme des dieux, les respecter comme des sortes de religions. »

Marshall Mc Luhan, Pour comprendre les média, 1968

Mythologie

Marshall McLuhan

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Publié le 11 Février 2016

 

     « Les changements constatés dans les relations de production et de pouvoir et dans les relations interpersonnelles aboutissent à une transformation des fondements matériels de la vie sociale, de l'espace et du temps. L'espace des flux domine désormais l'espace des lieux. Au temps de l'horloge, propre à l'ère industrielle, désormais annihilé par la technologie, a succédé un temps intemporel. La circulation du capital, l'exercice du pouvoir et le tourbillon des communications électroniques passent par des flux d'échanges entre un certain nombre d'endroits choisis, éloignés les uns des autres, alors que les expériences individuelles, atomisées, restent confinées dans des lieux. La technologie comprime le temps en quelques instants aléatoires, privant la société de continuité et la durée d'historicité. En isolant le pouvoir dans l'espace des flux, en permettant au capital d'échapper au temps et en dissolvant l'Histoire dans la culture de l'éphémère, la société en réseaux arrache les relations sociales au concret et invente une culture de la virtualité réelle. »

Manuel Castells, L'ère de l'information, T. 3

(* Par culture de la virtualité réelle, l'auteur entend ici un système où la réalité elle-même (c'est-à-dire l'expérience des hommes, matérielle et symbolique) étant totalement immergée dans les images virtuelles et les simulacres, les symboles ne sont pas seulement des métaphores mais la réalité vécue. [...] La virtualité tend en effet à devenir notre réalité parce que c'est dans le cadre de ces systèmes symboliques sans lieu, sans durée, que nous élaborons nos catégories et produisons des images qui conditionnent les comportements, engendrent la politique, nourrissent les rêves et déclenchent les cauchemars).

L'hypothèse cybernétique

Glossaire

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Publié le 7 Janvier 2016

« Avant-gardes, etc. C'est très mal pensé, tout ça. Il y a eu une nécessité incontestable. Il a fallu se mettre à la hauteur de l'illisibilité du monde et, se faisant semblable à ce qu'on décrit, faire des livres illisibles. Finnegans Wake, Cantos, un peu Céline (les Guignol's Band). A chercher : pourquoi, alors que le monde continue à éclater, alors que son illisibilité s'accentue, que les dépressions se multiplient, qu'il devient de plus en plus fou, pourquoi donc la désirabilité de l'illisible disparaît, même chez ceux qui l'aimaient vraiment ? Pourquoi une recomposition paraît possible, qui ne serait pas falsification ? Pourquoi un certain type de « roman classique » peut à nouveau être écrit ? »

Philippe Muray

Il existe une idée reçue en littérature sur laquelle je voudrais revenir pour clore mon développement. L'idée que l'on ne peut contenir le monde dans une oeuvre d'art, parce que l'unité de celui-ci aurait été cassée (entre autres par les exactions du XXème siècle), et que de vouloir essayer d'avoir une démarche « démiurgique » en matière de création reviendrait à vouloir recoller les morceaux d'un puzzle depuis longtemps éparpillé. Je suis d'accord d'un point de vue humain. Mais un peu moins d'un point de vue esthétique. Cela revient à asséner (cf. part.1) à des générations qui n'ont pas forcément connu l'holocauste, ou les camps d'extermination staliniens, que le réel ne peut pas être abordé autrement que par le prisme du virtuel ou la démultiplication des points de vue. (Or, ce n'est pas le monde qui est désenchanté, ce sont, le cas échéant, les artistes.) Je ne suis pas d'accord avec cette idée, chère à Magris et à Eco – de grands penseurs par ailleurs. Je pense qu'il est difficile de contenir le monde dans une oeuvre d'art, mais pas impossible. Je crois que c'est cette difficulté qui fait que l'on présente l'entreprise désormais comme désespérée. Mais de toute façon, a-t-il jamais été facile de contenir le monde dans les arceaux de la fiction ?... Le monde n'a-t-il pas été de tout temps complexe, difficile à appréhender, et ardu à représenter dans son ensemble ? L'oeuvre d'art n'est-elle pas une tentative de le contenir, justement, dans les rets d'une subjectivité ? Je ne dis pas qu'il est facile de faire une œuvre, car pour qu'une sensibilité soit originale (c'est-à-dire qu'elle ne soit pas naïve, ou sous influence de l'air du temps), il faut beaucoup de travail, d'observation, d'opiniâtreté. Mais des textes comme La fonction du balai, de D.F. Wallace, ou 2666, de Bolaño – pour ne citer qu'eux dans la production internationale récente – me paraissent remplir cette fonction. Bien que le premier ait été renié par son auteur, et que le second évoque le postmodernisme, je crois que la tentative d'y embrasser le monde dans son entier, c'est-à-dire de se l'approprier, et de bâtir un univers qui soit néanmoins personnel et englobant, y est réussie. Il n'est donc pas impossible de recréer un monde qui ne soit pas une énième déclinaison de la multiplicité des points de vue (alimentant par là-même le mythe gratifiant de la "déconstruction", cher à notre époque) et de proposer une oeuvre singulière. De facon à ce qu'il y ait encore quelque chose de personnel que l'on puisse partager. Je gage en tout cas que c'est possible, pour l'avenir de la littérature, et même pour l'avenir tout court.

Précédents :Sur le postmodernisme (part.1)

Le postmodernisme en littérature (part.2)

L'émiettement du monde (part.3)

Corollaire de lecture : Un truc soi disant super... (critique du postmodernisme par DF Wallace) 

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Publié le 29 Décembre 2015

Sur le postmodernisme (part.2)

Si l’on en croit la définition de wikipédia, le postmodermisme en littérature est un recours récurrent à l’ironie, au second degré, comme manière de se protéger contre le lyrisme et son inavouable naïveté. Le vingtième siècle et son lot de barbaries ont en effet conduit à ce que l’homme ne puisse plus se regarder autrement que comme une machine à exécuter sa propre besogne – un rouage de la machine. Il a été voué à l’impuissance par les clichés moribonds de son histoire. Avant, l’homme romantique était centré sur son point de vue (subjectif) ; aujourd’hui, il est obligé de se conformer à la fragmentation des points de vue, ou au décrochage des modes de narration que l'esthétique postmoderne lui impose. Des livres comme Tandis que j’agonise (Faulkner), Les détectives sauvages (Bolaño), ou encore La maison des feuilles (Danielewski) ont abondamment illustré cette profusion des points de vue. Dom Quichotte était le premier roman à avoir expérimenté la distanciation moderne. Cervantès y recourrait, dans le second volume, à une narration avec le recul du premier. A l'extrême, La vie et les opinions de Tristram Shandy constitue une escalade sans précédent dans le commentaire de son propre commentaire (jusqu'à la suffocation ?). L'esthétique postmoderne n’est donc pas toute neuve. La question c'est : est-elle dépassable ? Et, si oui, comment ?... Peut-on indéfiniment asséner aux jeunes générations qui arrivent que leur « innocence » a été perdue par leurs prédécesseurs, et qu'ils sont condamnés à vivre dans un univers où les seuls postulats esthétiques sont le désenchantement, l'ironie réflexive, et la mise en abîme à l'infini ? Je ne suis pas prophète en mon pays, mais je pense que les générations futures n'auront pas plus de raison que les autres de se voir imposer une façon de penser (une façon de penser, qui plus est, souvent héritée de la surenchère à l'américaine).1 N'avoir comme ambition que de forniquer (avec toutes les fantaisies que l'ubiquité postmoderne nous propose), ou n'être qu'un maillon de la chaîne en période ultralibérale, ne peut pas devenir le fantasme d'une génération. Le trash comme esthétique, l'attitude volontairement blasée du narrateur qui-a-tout-vu-tout-fait-dans-toutes-les-positions, ou le désenchantement de commande, vont – je l'espère – finir par lasser. Mais par quoi seront-ils remplacés ? Et le kaléidoscope des possibles d'internet va-t-il concourir à l'apparition de nouvelles formes, alors qu'il semble au contraire militer en faveur de la démultiplication des points de vue et du relativisme sans limites ?

1 Pour ce qui est de la France, on peut dire que le postmodernisme s'y est développé tangentiellement, puisque les excès du Nouveau roman ou de l'Autofiction ont conduit à certains égarements, plus formalistes que nihilistes, et que la notion de narration y est désormais vue comme ringarde. Chez nous, il y a une tendance à ne pas avoir d'autre horizon que celui du langage, seule façon d'échapper selon les techniciens à la mainmise de la mondialisation dévorante.

Précédent : Sur le postmodernisme (remise en cause et questionnements)

Présent : Le postmodernisme en littérature (plus particulièrement)

Suivant : L'émiettement du monde

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Publié le 26 Novembre 2015

Le romancier et théoricien Umberto Eco explique son idée de postmodernisme comme une sorte de double-codage : « Je pense à l'attitude postmoderne comme celle d'un homme qui aime une femme très cultivée et sait qu'il ne peut pas lui dire « Je t'aime follement », parce qu'il sait qu'elle sait (et qu’elle sait qu'il sait) que ces mots ont déjà été écrits par Barbara Cartland. Pourtant, il y a une solution. Il peut dire « Comme Barbara Cartland aurait pu le dire, je t'aime follement ». À ce point, après avoir évité la fausse innocence, après avoir dit clairement qu’il n'était plus possible de parler innocemment, il va néanmoins dire ce qu'il voulait dire à cette femme : qu'il l’aime à un âge où l’innocence est perdue ».

Je trouve cette citation de Umberto Eco particulièrement éclairante. Le postmodernisme est défini en général comme une sorte d’ironie, de second degré, de distance que l’on aurait aux choses, et qui ferait que l'on n'a plus au vingtième siècle le cran de se jeter à cœur perdu dans la poésie ou le lyrisme au premier degré. David Foster Wallace l'évoque dans un article paru en 2014 (Irony is ruining our culture). Il me semble que cette idée d’innocence perdue est à double tranchant. Qu’est-ce qui peut bien nous permettre de dire que l’innocence a été perdue ?... A priori, dans la bible, nous l’avons perdue depuis longtemps, puisque Adam croque dans la pomme, d'après la Genèse, et qu’Eve est tentée par le serpent. Pourquoi l’aurions-nous perdue davantage aujourd’hui ?... La réponse qui est unanimement invoquée par les hommes de culture est : la Shoah, l'industrialisation de la mort – l'extermination de l'homme par l'homme. C’est elle qui aurait tué la poésie (cf. Adorno), et c’est elle encore qui nous fait dire parfois que les hommes sont capables du pire, en se comportant de façon plus abjecte que les animaux. Mais pourquoi l'innocence aurait-elle été plus irrémédiablement perdue par les hommes du vingtième siècle ?... Je pose la question « en toute innocence », comme quelqu'un qui ne voudrait pas forcément répéter ce qu'on lui assène. Je n’ai pas de réponse tranchée. Il me semble que ceux qui ont connu la seconde guerre mondiale sont plus prompts à se rallier à cette idée. Il y a là peut-être un commencement de réponse, pour ceux qui prennent le postmodernisme pour un fait accompli, et son idée maîtresse, selon laquelle tout aurait été écrit, comme une sorte de credo. La possibilité de renouer avec une certaine forme de lyrisme débridée apparaît désormais à tous comme réactionnaire (et la poésie, comme ringarde). Il semble pourtant que ce postulat de la mort de l'innocence n'est héritée d'aucune expérience propre. On nous l'impose. Ceux qui naissent, ou qui naîtront demain, n'ont pas plus de raison empirique que les autres de croire qu'ils ont jamais été innocents (ou qu'ils ont perdu cette innocence). Bien au contraire, cette innocence, elle leur est acquise de facto, par leur enfance, et je me demande si ce n’est pas tout simplement l’expression de ce que chacun, né dans une époque, porte comme regard sur le monde – avant que le prisme de la Shoah ou de l’extermination de l’homme par l’homme ne soit apposé dessus.

Suivant : Le postmodernisme en littérature (part.2)

L'émiettement du monde (part.3)

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Rédigé par le boldu - blog littéraire

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