L'effritement du monde physique

Publié le 4 Octobre 2022

 

Dans le sillage de mon essai sur la Désincarnation

 

La « crise » du coronavirus a entériné le phénomène de la désincarnation auquel on assiste depuis des années. Sans qu'il y ait le moindre doute sur le fait qu'un virus existe, l'exagération de sa gestion, et l'énorme bulle médiatique qui s'en est suivie, nous ont fait basculer dans une sphère à laquelle, probablement, nous aspirions. Tous les jours, on nous raconte l'histoire du coronavirus. Jusque là, rien que de très normal. Le storytelling est le fait de l'information, depuis des années, et créer de l'information à partir de pas grand-chose est devenu une manne (du moment que ça rapporte.) Les média sont toujours sûrs de trouver des récipiendaires dans nos ouïes de citoyens avides de feed. Nous avons faim de réel, de choses qui se passent. (Raison pour laquelle, probablement, la production de fictions sans grand enjeu se porte aussi bien, ces dernières années : il y a assez de fictions dans le monde de l'information pour nous rassasier de ce point de vue-là). Tout cela, nous le devons à notre société de l'information, qui nous a peu à peu dépossédés de notre regard critique, de notre capacité de recul, à regarder les choses dans leur ensemble – en nous amenant à adopter ses points de vues, et ses repères cognitifs. (Selon une expression familière, nous avons souvent « la tête dans le guidon ».) Mais la gestion qui a été faite du coronavirus a encore enfoncé le clou dans la « planche déjà bien savonneuse » du réel. Un réel qui ne nous semble parfois plus exister, sous les tombereaux de recommandations contradictoires qui nous sont assénés pour tenter de nous donner le change. Nous sommes de plus en plus perdus, désorientés par ce réel1, et nous avons de plus en plus l'impression, sous l'injonction de ces recommandations contradictoires 2, de nous sentir « habillés » par le virtuel – un peu comme on dirait de quelqu'un qu'il a été « habillé pour l'hiver »... Le monde de l'information nous a progressivement transportés dans une dimension qui ne dit pas son nom, mais qui nous alimente, sans cesse, et ce même si elle peut paraître mensongère jusqu'au dernier des mots qui est prononcé pour entretenir la « psychose ». Tout cela a déjà été dit par d'autres. Beaucoup d'observateurs se sont déjà relayés, dans le cours du 20ème siècle, pour nous prévenir de l'épuisement du « réel ». Mais ils n'auraient pas pu imaginer qu'on donnerait un tel coup dans la fourmilière, en se contingentant soi-même, en se saucissonnant, et bientôt même en se bâillonnant au sens propre par le port du masque. Les conséquences sont désastreuses. Nous n'en pointons pour le moment que les conséquences économiques, ou physiques. Mais celles psychologiques seront probablement bien plus graves. Je crois qu'on ne peut pas dire à un homme de se taire, d'accepter de rester chez lui derrière un écran, ou de porter un masque comme s'il y avait un danger dans chaque particule d'air qu'il respire, sans que quelque chose d'irrémédiable se produise. Sans que la paralysie, l'appréhension des autres, ou les conséquences psychologiques qui en découlent ne pointent leur nez. J'écris ça de derrière mon écran, comme tout le monde, où j'ai été consigné pendant des mois. Mais je ne suis pas le seul. Des millions d'autres personnes ont depuis le début de cette « crise » été assignés à demeure, maintenus dans une position infantilisante, et encouragés à ne plus bouger pour satisfaire aux préconisations de notre société de la peur, sans que la moindre contrepartie ne leur soit proposée autre que de récriminer, derrière un écran. (Car nous savons très bien que toute entreprise de mécontentement sera aussitôt réprimée, si besoin physiquement.) C'est sans doute ce qui est le plus important... Tout ce que l'on réprime aujourd'hui, soyez en sûrs, finira va ressurgir. Il y a bien des années que cela fermente. Les violences, les jeunes dans les banlieues, les sans-emploi qui vivotent... Croyez-vous vraiment que tout cela puisse tenir éternellement sous le couvercle de la casserole ?... Peut-on imaginer que d'imposer des règles de plus en plus drastiques, même dans le cadre d'une épidémie, en faisant peur à sa population, en la déresponsabilisant, ou encore en lui expliquant qu'on va privilégier les plus fragiles pour hypothéquer les perspectives du plus grand nombre dans l'avenir, puisse parler à un peuple ? Plaider en sa faveur ?... Nous ne faisons que dégrader les conditions de ceux qui en ont vraiment besoin  et, si nous ne sommes pas en période de guerre, contrairement à ce que notre président a prétendu, la désagrégation du monde physique, ou plus exactement son effritement, va poursuivre son cours. Il va nous préparer à des lendemains de bouleversements qu'il faudra nécessairement comptabiliser ou, à tout le moins, médicamenter. (C'est l'alibi véritable des soi-disant « crises » dont on nous rebat les oreilles depuis trente ans, et qui en réalité ne s'enchaînent que du fait de la mauvaise gestion de nos dirigeants). Le refoulé arrive, à grands pas... Sous la forme de violence, de résurgences du monde physique, de règlements de compte sur fond de névrose médicamentée. La gestion du covid peut être vue comme un moyen de nous chloroformer, à long terme, en nous incitant à penser qu'à chaque problème qui se présente, il existe une solution, si possible médicamenteuse (et dans médicamenteuse, n'oublions pas qu'il y a « menteuse »). Mais le réel subsiste, par en-dessous, à travers la loi de la reproduction, l'instinct de survie, et les principes biologiques qui nous gouvernent. Il est encore difficile de prévoir ce qui va se passer. Une révolution aura-t-elle lieu, comme celle qui est préconisée par les transhumanistes, prônant un revenu minimum pour tout le monde, afin de neutraliser les plus dépossédés, et garantir un accès illimité aux technologies pour endormir tout le monde et continuer à ne faire que consommer ?... Ou bien assistera-t-on à un lent et inexorable effritement de ce monde physique, tel que nous l'avons connu, de tous les métiers qui avaient encore du sens, enracinés dans le réel, et produisant de la valeur tandis que la plupart des jobs recensés de nos jours sous le nom de « bullshit jobs »3 ne s'arrêteront plus de proliférer, entretenant le renflement toujours plus aérophagique de notre bulle virtuelle, bulle qui ne pourra dès lors plus faire que grandir, à partir du moment où tout le monde sera plus ou moins incité à rester chez lui, derrière un écran ?... La question reste ouverte... Mais il n'est peut-être pas innocent de se dire que nous sommes chaque jour les artisans de sa réponse.

 

(Journal, 2020)

 

1 qui est fugace, qui nous file entre les doigts

2 Mets un masque, garde tes distances, consomme mais réduis ta consommation d'énergie

3 par l'anthropologue David Graeber

Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #Journal, #Pensées

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