Rencontre avec Doudou, dandy zoulou de Brest

Publié le 9 Avril 2024

En arpentant le port de Brest, j’ai été surpris de voir qu’il n'y avait presque pas de bars. Même sur le court Dajot, je n’en ai vu aucun. La place est faite aux parcs, aux petits squares ombragés, où des groupes de mousses en débardeur passent quelquefois chercher l'âme soeur aux heures torrides du soir. Il faut donc aller du côté de la rue du château pour dénicher un bistrot digne de ce nom. Le « Baobab ». Comme son nom l’indique, c'est un bar typiquement breton. Et son tenancier un marin confirmé depuis qu’il a fait naufrage avec ses deux dernières discothèques à Recouvrance. Pour une raison obscure, Doudou s’est retrouvé de ce côté-ci de la Penfeld, et il a ouvert la seule enseigne que je ne m’attendais pas à trouver : un bar antillais. D’origine sénégalaise, Doudou est un homme à la fleur de l'âge, qui a probablement plus souffert que son physique ne veut bien le dire. Il apostrophe les clients sans distinction : « mon grand », « mon bichon »... Dans un costume coloré, sans un seul cheveu gris, il véhicule avec lui une sorte d'universelle bonté. Chaque soir, les clients affluent pour s’enivrer de ses petits cocktails. Qu'il transporte par-dessus tête, sur un plateau, comme une porteuse d'eau. « Ça c’est pour toi, mon grand », « Mais je t’en prie, mon mignon »... Il y a un peu chez lui de Tonton David, et pas mal de Querelle de Brest. Certains clients viennent parfois prendre de ses nouvelles : « Où est Doudou ? », « Doudou n’est donc pas là ? » La plupart le connaissent, pour son passé mouvementé. Beaucoup connaissent l'histoire, ainsi que celle de ses mésaventures à Recouvrance. A certains il a déjà raconté comment un jour, au pied d'un arbre, il a eu l’idée de venir en France. Et comment, une fois le naufrage de ses deux premières affaires essuyé, il a décidé d'appeler son bar « le baobab » (histoire de renaître de ses cendres)… La nostalgie des uns rejoint alors celle des autres. Les percussions prennent des airs de coups de tabac, dans le bar à cocktails. Et les bretons se font taiseux. Ceux qui sont un jour passés par le pont du porte-avion Clemenceau peuvent y retrouver des bribes de leur passé aventureux. Les autres voyagent en pensée. Doudou est comme un dandy à Recouvrance. Un grain de sable dans l'alignement de façades qui bordent le cours Dajot. Une mosaïque de chaleur, et de couleurs, sans laquelle le port de Brest ne serait sinon qu'un hymne aux courants d'air et aux envies de suicide après une soirée de biture.

 

Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #Journal

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