Nina

Publié le 3 Juin 2013

 

    Nina est prostituée dans le Matabiau. Elle porte une petite jupe beige, qui n’est pas de saison, et un body serré avec des tulipes mauves. Pas grand-chose de plus, je crois. Elle travaille rue Héliot, entre un vieux sex-shop et un distributeur. Les gens vont de l’un à l’autre, ou de l’autre à l’un, c’est au choix : tous les chemins passent par Nina. Ça la change du temps où elle faisait les cent pas le long du canal. Alors y’en avait vingt comme elle, toutes plus pute l’une que l’autre, ras-la-fine et jarretières, poitrine sur la balustre, alignées comme les heures successives de la journée. C’est peut-être pour ça qu’on l'appelle le « canal du midi ». Y’avait la pute d’une heure, la traînée de deux heures, la pouffiasse de troize, j’en passe et des meilleures... Sauf que l’quatorze juillet, justement, y'a de ça deux ou trois ans, Nina s'est vue emmenée par un fourgon de police. Gérald et Marcellin, justiciers toulousains, lui expliquèrent que les élus ne supportaient plus de voir les abords du canal infestés de « péripatéticiennes ». Toulouse avait beau être la ville rose, ça faisait quand même un peu tâche. Dorénavant il serait par conséquent souhaitable qu'elle travaillât là, lui avait désigné de l'index la main de Gérald en se posant sur la grande carte murale de leur bureau. Et c'est ainsi que depuis, Nina fait les trois-huit le long de la rue Héliot. C’est elle la pute d’une heure, la traînée de deuze, la pouffiasse de troize, l’entremetteuse de cinq, la lèche-grappe de six, la mange-zbeuh, la vide-queue… Et comme Nina a quand même voulu conserver sa dignité, elle s’est acheté un petit portable, dont elle se sert régulièrement pour faire semblant de téléphoner en levant les yeux au ciel avec des airs impatientés.

        (Toulouse, 2001)

 

Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #Journal

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