L’émission radiophonique

Publié le 22 Mars 2013

      Cet article est le prolongement du post Les personnages : Mario

     Il y eut un soir où Mario vint pour me demander s’il pouvait utiliser le téléphone de la réception. Il voulait appeler son émission de radio préférée, Starplus, pour parler à sa chanteuse favorite : Tiffany. Comme j’ignorais tout du coût de la communication, je le laissai faire. Je le vis se ruer comme une couleuvre sur le combiné du téléphone. Une chose en entraînant une autre, il se retrouva bientôt dans la file virtuelle des aficionados à l'émission. Ce que j'ignorais, c’est que Mario avait une bonne étoile pour ces choses-là. S’il n’avait pas été bien loti dans l'existence, il arrivait presque toujours à parler à quelqu'un. « Allo ? finissait-on par lui répondre.... Ah, c'est toi, Mario…». Mario était connu comme le loup blanc. Il avait déjà été pris à plusieurs reprises, et l'on redoutait, plus que tout, ses coups de colère à l'antenne. Mais ce jour-là, il avait mis la barre très haut. Il déclara d’emblée qu’il n’accepterait de parler qu’à Tiffany, car l’affaire qui l'amenait sur les ondes ne les concernait que tous les deux. Moment de blanc dans l'émission. Après une concertation, entre les animateurs, on accepta de la lui passer. Mario commença par lui déblatérer d’amers reproches, comme quoi elle n’avait pas chanté une certaine chanson lors de son dernier concert à Montpellier. La chanteuse lui répondit que la chanson avait dû être déprogrammée, en effet, pour des « raisons techniques ». Mais Mario ne s'en laissa pas conter pour autant. Quelques minutes plus tard, il revint à la charge en lui demandant pourquoi, dans ce cas, elle l’avait chantée le lendemain aux arènes de Nîmes, dans des conditions plus que comparables. Tiffany se sentit obligée de s'en remettre au psychologue de l'émission, Le Docqui intervenait dans quelques minutes. Changement d'interlocuteur au bout du fil. Le psychologue expliqua à Mario qu'il n'y avait pas de raisons de s'énerver, qu'on avait justement la possibilité de la lui reprogrammer, cette chanson, et pas plus tard que dans quelques minutes, tiens, après la coupure pub. Mario parut s'apaiser. J'entrevis le prix exorbitant de sa petite conversation. Hélas, rien n'était envisagable. La chanson avait été reprogrammée, et Mario l'attendait, de pied ferme. Et, tandis que l'émission recommençait, et que le psychologue reprenait qu’il ne fallait pas tout prendre au pied de la lettre, qu'il fallait savoir mettre de l'eau dans son vin dans la vie, ce genre de trucs qu'il avait déjà dû entendre des dizaines de fois à l'hôpital, Mario ne put plus se contenir. Il raccrocha en se dégingandant, et s'en fut vers la sortie. C’est plus ou moins en insultant la terre entière que je le vis passer la porte. Il ressemblait, dans ces moments, à un djinn, je me souviens, avec sa barbe noire et ses cheveux poivre et sel. La clochette de la porte tintinnabula. « Reprogrammée pour des raisons techniques !... Je t’en foutrai, moi, des raisons techniques ! » Le tarif définitif de sa petite conversation m’apparut alors en bas de l'écran. 56 euros 20. Mais comment allais-je justifier ça à mon patron ?


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Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #Journal

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