La dictature du cool

Publié le 4 Avril 2013

     Cet article se situe dans le prolongement du post : le style international

Je ne vais probablement pas me faire des «amis» sur facebook en écrivant ça. Mais c’est ainsi, la dictature du cool a si bien étendu son règne en dehors de la vie réelle, qu’il est aujourd’hui de notoriété virtuelle qu’elle a envahi tous les réseaux sociaux (et, par conséquent aussi, la « blogosphère »). Pendant longtemps, j’étais heureux d’écrire, dans le silence. Je n’écrivais que pour moi, sans me soucier du qu’en-dira-t-on. J’espérais qu’un jour les gens me liraient, et y éprouveraient du plaisir – ou, du moins, une respiration dans ce qui leur tenait lieu de temps. Mais voici que les réseaux sociaux sont arrivés. Il a fallu se faire des «amis». Je me suis pris au jeu... J’ai même commencé à «liker» – modérément au début, parce que je ne voulais pas passer mon temps à ne faire que ça. Et c’est ainsi que, peu à peu, je me suis retrouvé pris au «piège»… Le réseau social est comme une toile d’araignée, où vous vous ne tardez pas à vous retrouver emprisonné, dans le sens où le regard de l’autre ne vous permet pas d’écrire comme vous le souhaiteriez. L'autosurveillance que l'on s'applique à soi-même – par le biais de ce regard réflexif qu'implique le Surmoi dans ce genre de média – vous empêche d'être libre. A cela s'ajoute l'injonction de paraître cool. Si vous ne l’êtes pas, ce n’est pas qu’on vous répudie, non, c’est juste qu’on vous ignore (ce qui est probablement pire). La dictature du cool devient peu à peu ce qui,  malignement, cimente nos liens. Ce qui nous permet de rester en communication avec les autres - comme un sauf-conduit. Sans elle, pas d’amis - comme le chantait un célèbre groupe de Raggamuffin dans les années 90 *. Cela tient probablement au fait que nous sommes impuissants, par le langage, à exprimer les nuances de ce que nous ressentons. Nous préférons passer par des raccourcis. A l’inverse de la vie, où nous pouvons pressentir dans le comportement d’une personne de l’appréhension, ou du rejet, la vie virtuelle ne le permet pas. Il faut passer par les mots. Et c'est une autre paire de manches. Donc on commence à « liker »... La pauvreté de ce système amène à se rendre compte que nous ne faisons que reproduire, par transposition, ce que nous faisons déjà dans le réel, et que souvent nous réprouvions (le système de copinages, et de cooptations). Les gens dans la blogosphère, par exemple, se plaignent souvent de la consanguinité de l’establishment. Mais ils ne font que singer par la-même ce système à l’identique, dans la sphère virtuelle, en se cooptant les uns les autres. La dictature du cool s'installe. Ce que chacun désire, dans ce jeu de dupes, c’est « en être »... Comme l'ecrivait Julien Gracq dans La littérature à l’estomac : faire partie d'une caste de personnes socialement présélectionnés, qui s'inter-reconnaissent, plutôt que de produire quelque chose de significatif. Rien n’est plus dommageable, pourtant, que la dictature d'être cool. Ecrire, ce n’est pas être cool - ou, en tout cas, ce n’est pas plus cool qu’autre chose. Dans ce sens, l’image du littérateur souffre d’un problème de représentation, d’une superposition de son image sur son être réel, qu’alimentent les blogueurs, la complicité des média, les postures djeun’s (lien). Promouvoir l’image d’un narrateur revenu de tout, grand baiseur devant l’éternel (comme le font les littérateurs anglo-saxons) est une imposture. C’est une contrefaçon dans la mesure où l’écriture est une recherche esthétique, qui peut remonter jusqu’aux sources de l’enfance exacte, et que de la ravaler au rang de simple constat désabusé de narrateur postmoderne n’est qu’une négation de cet émerveillement originel qu’est – ou que devrait être – toute littérature.

 * « Si t’as pas de money t’as pas d'friends !» Raggasonic

Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #Pensées

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B
Facebook peut toujours me lécher la raie. Boycott cette merde et fuck off à la pression de conformité qui en resulte.
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L
Merci JC. Ça n’a pas grand-chose à voir mais ça me fait penser que j’ai fini tes nouvelles et qu’il faut que j’aille t’en toucher un mot sur ton blog.
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E
NDLR : j'avais cité Steve McQueen par ce que justement on l'avait surnommé "the king of cool". Comme quoi tu vois les catégorisations...
L
Bonjour Edouard,<br /> C’est amusant que tu me taxes de prendre une posture alors que précisément, c’est une posture que je traque ici. Je ne cherche pas à être du « bon côté du manche », rassure-toi – ou alors, si je le fais, je me suis bien trompé de côté car c’est plutôt de celui des « cool », il me semble, que le bon côté se trouve. Je ne suis pas certain non plus que Steve McQueen soit si cool que ça (il est élégant, certes, et même charmeur, mais cool ?...) ; dans mon souvenir, dans le film dénommé Bullit (l’un des meilleurs que j’ai vu avec lui), il est même assez soucieux tout le temps. Bref, je te taquine, juste pour dire que je ne crois pas comme toi que les choses soient immuables, et que nous soyons travaillés de tout temps par les mêmes démons. Par exemple, le démon du postmodernisme (pour n’évoquer que lui) consiste à sur-jouer le côté désabusé du narrateur (celui qui a tout-vu-tout fait-et-dans-toutes-les-positions) alors que précisément, la plupart de ses représentants (auteurs ou promoteurs médiatiques) n’ont justement pas tâté à grand-chose. Voilà la posture que je traque, le pantin du postmodernisme ambiant, cette baudruche prête à exploser ou à se décomposer, au choix, comme toutes les modes dignes de ce nom (d’autant qu’il apparaît souvent que son credo, c’est l’absence de sens, alors qu’en art, justement, on cherche un tant soit peu à donner du sens). Le problème supplétif de cette tendance, c’est qu’elle infecte à mes yeux toutes les traditions littéraires existantes (j’en parle dans un article appelé Le style international) : ce n’est plus seulement la littérature anglo-saxonne qui est touchée, c’est celle sud-africaine, espagnole, italienne, argentine (et bien sûr française)… Et je ne dis pas ça simplement en tant que critique, ou « juge », mais en tant lecteur fatigué et usé par la ritournelle du postmodernisme et celle de son narrateur blasé avant la lettre. Relis à ce sujet (si tu le veux bien) la dernière phrase de mon article, et tu te rendras compte que je ne fais peut-être pas tant d’amalgame que ça : ce sont les tenants du cool qui en font, à mon sens, en mélangeant leur attitude avec la littérature. (Il est question dans ce passage de l’enfance, celle que tu évoques si je me souviens bien dans un poème paru sur scryf où la lumière intermittente d’une lampe affleure sur le visage d’un enfant – cette enfance ne saurait souffrir le moindre compromis selon moi avec le « cool »). Enfin, pour ce qui est du « trop sérieux » que tu invoques à mon propos, là je plaide coupable, il y a longtemps que j’écris, presque chaque jour, et l’écriture est devenue pour moi quelque chose de trop sérieux pour que je ne m’indigne pas du gâchis qui en est parfois fait (bon côté du manche ?...).
E
Je patienterai :-)) . Bonne vacances
L
Très intéressant mais je ne te répondrai que fin juillet...
E
Je pense qu tu prends un peu trop au sérieux ces fameux réseaux sociaux.Ces &quot;amis&quot; et ces &quot;like&quot;, ce n'est qu'un jeu.<br /> C'est marrant parce qu'en lisant cet article j'ai remis en perspective la critique de &quot;mes&quot; Chroniques d'Oneiros&quot; que tu avais faite sur Scryf en tant qu'Alain puisque j'ai appris que Nicolas était Alain :-)) ) . Tu disais avoir été gêné par la voix du narrateur &quot;désabusé, revenu de tout&quot;. trop &quot;anglo-saxon&quot;. Je comprend à présent. Pour ce qui est de mon cas, il s'agissait juste de s'inscrire dans une littérature de genre pour tenter de faire passer mes propres obsessions. <br /> Mais plus généralement, je trouve qu'il y a là dedans beaucoup d'amalgames. ça me parait un peu tout confondre. Le narrateur type &quot; série noire&quot; est certes &quot;désabusé&quot; , avançant dans un monde qui le dépasse mais c'est en général un solitaire. Le king of cool, Steve Mc Queen, de par son charisme naturel, ne cherche pas à en être, il est. Le bobo droit de l'hommiste et panurgique dont Murray s'est fait un putching ball n'est ni Philipp Marlow ni Steve McQueen. Une chose reste : &quot;le rapport à l'autre&quot;. En être , ne pas en être, être ailleurs avec d'autres ce qui revient toujours quelque part à en être, ne jamais être tout à fait là tout en étant là. Nous sommes tous, et nous avons été de tout temps, travaillés à notre insu par ces processus. Car c''est ce qui définit la condition humaine. Là où tu es, ironiquement, très contemporain, c'est que tu abordes ces sujets par le biais du jugement en tentant d'être du bon côté du manche. Le &quot;pas dupe, moi j'en suis pas&quot; est paradoxalement l'attitude contemporaine la plus partagée. Et c'est pour ma part là que ça coince...
J
Les réseaux sociaux n'étant pas d'ailleurs conçus pour permettre de s'exprimer adéquatement: je ne fréquente pas Twitter (et pour quoi foutre, grands dieux?), mais rien que l'inesthétique<br /> facebookienne est une dissuasion à écrire long, donc une invitation à raccourcir sa pensée. Par contrecoups, les mauvaises habitudes prises font que tout billet de blog qui dépasse les dix lignes<br /> apparaît comme indigeste (s'il déborde l'espace d'un écran de mobile, c'est qu'il est trop bavard).<br /> <br /> La dictature du pouce levé (point de pouce baissé: vous resterez muet, ou laisserez un commentaire, si votre déplaisir doit être manifesté) lamine elle aussi toute velléité de se montrer pleinement<br /> sincère. Il faut brosser dans le sens du poil, quitte à se taire. D'ailleurs, deux mots qui fâchent récolteront plus facilement le silence qu'un commentaire...<br /> <br /> On n'adoucit pas les angles, on les écrabouille et on glisse par dessus une protection caoutchouteuse. Gagner des "amis" et ne surtout pas en perdre est l'objectif premier du jeu: on promène donc<br /> une "persona" soigneusement arrangée pour être appréciable par le plus grand nombre (et on se compte les "j'aime" comme on se mesurerait la... euh... pardon).<br /> <br /> Sur les réseaux sociaux, le littérateur se fait facilement personnage de fiction et se falsifie doublement. Cherchant une reconnaissance (des siens, d'abord, et du public, parce que ça compte), il<br /> se grime et souvent pratique le racolage (plutôt actif) en se préoccupant d'être agréable, faute de savoir être vrai. Comme territoire d'écriture, ce pourrait être intéressant, si on ne se sentait<br /> pas contraint à adopter les stéréotypes en vogue, et si on annonçait franchement "X auteur/écrivain* est un autre", ce qui bien entendu ne sera jamais le cas.<br /> <br /> Le réseau social reproduit en schématisant le social réel. Et rendrait plus visibles encore tous nos comportements factices si nous nous y laissions gagner par une torpeur confortable, instillée<br /> par le doux venin de la coolitude généralisée. Du moins, la coolitude entre gens du même monde. le pire est de constater que la virtualité sociale déteint sur le lien social réel, à moins qu'il ne<br /> tende à l'effacer. Y substituant un vaste jeu de rôles.<br /> <br /> <br /> * la mention facultative, lorsqu'elle est accolée au nom, est à mon sens assez ridicule, ou alors symptomatique. Il faut montrer quel place on tient. Une place à laquelle on tient sérieusement, en<br /> plus.
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