La promotion de la médiocrité

Publié le 7 Janvier 2013

                                      « S'il entend réellement baigner dans la magie d'un livre de génie, le lecteur avisé le lira non pas avec son coeur, non pas avec son esprit, mais avec sa moelle épinière : c'est là que se produit le frisson révélateur... » 

                                                                                                      V. Nabokov                                                                                                                       

       La médiocrité, de tout temps, a été mise en avant par ceux qui ne parvenaient pas à produire des oeuvres de premier plan, et la technique est devenue, au vingtième siècle, la première arme de ceux qui n'arrivaient pas à créer. Mais la promotion de la médiocrité à grande échelle est peut-être une particularité du vingtième siècle. Nietzsche n’employa-t-il pas une partie de son oeuvre à détrôner les partisans de la bassesse, de la facilité, de la morale pour tous, et à définir celle-ci comme une « idiosyncrasie de décadents », au regard de ce que la Nature attend de nous ?... Aujourd’hui, la démocratisation de masse est devenue la norme, et elle a atteint toutes les sphères atteignables de la culture. L’art, qui était jadis une discipline élitiste, est devenu la préoccupation du tout-venant, et il s’est transformé en une activité vulgaire (au sens étymologique du terme). Comment souhaiter le contraire ?... On ne peut pas empêcher tout le monde de s’exprimer, et il est même souhaitable, si l’on y réfléchit, que chacun puisse s'y adonner, dans le domaine de prédilection qu’il s’est assigné (ça facilite le travail des psys). Mais le brouillage des codes entamé avec l’avènement de la technique au 20ème siècle a fait que, peu à peu, plus personne n’est capable de discerner l'art du cochon. Essayons d'appeler un chat un chat : l’art, si on devait le définir, est quelque chose qui se transmet, qui procure une émotion esthétique, et qu’un homme qui a quelque chose à exprimer adresse à un autre. Quelle que soit l’intention, il y a une proccupation esthétique. Une oeuvre laide, ou grotesque, peut tout à fait nous faire vibrer, au même titre qu’un chant liturgique. Mais une oeuvre où il n’y a pas d'intention esthétique va généralement nous faire réfléchir, nous faire sourire, ou nous indifférer, mais elle ne peut pas nous faire vibrer (étant entendu que cette vibration est subjective, et que les bons sentiments qui recherchent une approbation morale ne comptent pas a priori parmi les ambitions esthétiques.) C’est pourquoi la plupart des auteurs s’escriment à essayer de justifier ce qu'ils ont voulu dire par des explications, après coup. Le don pour la créativité, pourtant, ne s’acquiert pas : on l’a, ou on l’a pas, parce qu’on fait ce choix, au début, de se lancer là-dedans (en écrivant, en peignant, ou en chantant) – et non parce que l’on convoque après coup des tonnes de concepts à la noix pour justifier de ce qu’on a fait. D’où, il ressort que la majeure partie de qui se produit de nos jours n’est pas de l’art, mais de la technique, qui s’échine à prendre les atours de la création, et que c’est la promotion de la médiocrité qui va le lui permettre. La promotion de ce qui est médiocre est une vaste entreprise de brouillage des codes visant à permettre au tout-venant de s’arroger les lauriers de la création – et ce sans malheureusement se rendre compte de ce qu’il en coûte aux véritables créateurs – qui, dans l'ombre désormais, suffoquent, dans l’espoir devenu impossible d’une quelconque reconnaissance.

Corollaire :
W. Benjamin, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1955)

Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #Pensées

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