David Perchirin

Publié le 20 Novembre 2015

Ce texte a été écrit à la mémoire de David, tombé au Bataclan le 13 novembre 2015

J'ai rencontré David par le biais d'une nounou que nous avions en commun. Au début, il m'a paru très volubile. La première fois que nous avons échangé, il s'est répandu sur la façon dont il ne parvenait pas à s'entendre avec sa patronne du moment. J'ai appris à le connaître. Il a toujours beaucoup plus parlé que moi. Pour autant, l'intérêt de ce qu'il disait l'emportait sur la fatuité du soliloque. Il avait une pensée à lui. D'aucuns diraient qu'il vivait dans son monde. Mais je m'entends plutôt bien avec les gens qui sont dans leur monde - et, si je ne partage pas forcément le même monde qu'eux, je comprends bien qu'ils en aient un pour lutter contre celui que nous avons en commun. Il était féru de chiffres, de statistiques. Jamais je n'ai rencontré de gens connaissant autant de chiffres. Ça pouvait passer pour une démonstration de force. Mais il était suffisamment ouvert pour vous les communiquer avec ferveur. Il voulait aller au fond des choses. Son obsession de tout ranger dans des petites cases (sans doute pour mieux comprendre le monde, je suppose) se doublait chez lui d'une grande générosité. Quand il accueillait les enfants, il beurrait leurs tartines, et leur faisait prendre le chocolat devant la télé. J'aimais particulièrement cette façon qu'il avait de s'occuper des enfants. Il se présentait comme un « accompagnateur d'enfants », probablement soucieux de ne jamais les rendre dépendants de sa personne.

C'était un type qui avait le cœur sur la main. Dans les débats, il ne « lâchait rien », comme on dit. Il se mesurait avec les parents, avec les intellectuels, avec les profs. Rien ne lui faisait peur... Il avait seulement une certaine méfiance envers les universitaires, dont il avait fait partie. Il voulait avoir son chemin à lui. Je crois qu'il l'a eu. Professionnellement, il n'a pas eu le temps de briller, car le dernier métier dans lequel il s'était reconverti (prof), après une carrière pourtant prometteuse dans le journalisme, ne l'a malheureusement occupé qu'une seule année. Mais il était de toute façon disproportionné pour ce métier, et je le lui avais dit, il avait une trop grande capacité intellectuelle, qui l'amenait à plaquer des concepts parfois trop abstraits sur des tâches simples comme découper une feuille, ou coller un polycopié. Cette grande capacité, en aucun cas, ne le handicapait (il aurait fait un excellent professeur). Mais elle faisait craquer les coutures... Tout en lui était surdimensionné. Physiquement déjà, il était grand. Il ressemblait à un dieu grec, plus ou moins avachi, avec ses yeux plissés par les lunettes, et son visage toujours volontiers riant dans sa crinière léonine. A cela s'ajoutait son dada pour les vélos, qu'il pratiquait de longue date. Je ne m'intéressais pas particulièrement à ça, mais il avait une véritable passion pour les pièces rares de l'artillerie cyclopédique, qu'il savait démonter et remonter en un rien de temps.

C'était son côté bobo. Il ne l'était pas beaucoup, en dehors de ça, car il avait une pensée à lui. Il en avait conscience, et c'est ce qui nous a poussés un jour à échanger, sur le palier de l'immeuble. Il était particulièrement volubile à propos de certains éléments de sa vie. En quelques minutes, il se mettait à vous déballer toutes ses petites histoires. Comme beaucoup de gens, il traînait pas mal de casseroles, et c'est de l'en avoir entendu parler tellement de fois qui me donne aujourd'hui l'impression de si bien le connaître. Il se confiait sans retenue. Ce n'est pas tant l'absence de pudeur que l'extrême volubilité dont il faisait preuve, qui me revient – l'absence de limites, presque...

Il disait volontiers que son rêve était de rentrer un jour suffisamment ivre pour pouvoir zigzaguer sur son vélo sans même s'en rendre compte. A côté de cela, il était très prévenant avec les gens. Mais la volonté qu'il avait de renouer avec un certain passé punk-rock qui lui a fermé douloureusement les portes, ce vendredi treize, était profondément ancrée au fond de lui...

Il voulait brûler sa vie. Lors d'une de nos dernières soirées, il m'a confessé que pendant ses années étudiantes, il allait dans des concerts où les « roadies » lâchaient des cagettes remplies de canaris vivants sur la foule. David faisait partie des spectateurs du concert de Eagles of Death Metal, ce vendredi treize novembre. Il voulait repousser les limites. Je ne lui ai enseigné pour ma part que le maigre bagage de la connaissance du vin. Il était de jour en jour plus amateur, et nous nous voyions de plus en plus souvent. C'était en train de devenir un ami... Les terroristes l'ont enlevé au moment où il commençait à s'ouvrir, et à apprécier son nouveau métier. J'ai l'impression qu'il était sur le point de connaître une renaissance. Lors de notre dernière soirée, il a débouché une bouteille de vin du Roussillon en me montrant le nom sur l'étiquette : Ne jamais renoncer. Je l'ai encore en mémoire, à travers le voile de mes yeux brouillés par l'émotion. C'est la dernière image que j'ai de lui, avec cette poignée de main que nous avons échangée devant l'école, peu avant qu'il ne s'en aille aux cotés de son vélo vers son impitoyable destin. Celui de figurer parmi les 89 victimes du Bataclan, ce vendredi treize novembre, autant dire un monstrueux gâchis pour un homme qui avait voulu voler si haut, s'était brûlé les ailes, et restera pour toujours dans la mémoire de ceux qui l'ont connu comme un personnage hors normes pour sa générosité extrême et son goût prononcé pour certains états proches des limites.

19/11

Rédigé par le boldu - blog littéraire

Publié dans #Journal

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