Publié le 23 Octobre 2012
Il est deux heures moins le quart. J’achève ma deuxième ronde. L’hôtel est calme, presque désert. Seuls trois clients restent encore à rentrer. Je ne les attends pas. Je m’allonge sur le divan, en sachant qu’à tout moment, l'un d'eux risque d'arriver. Qu'il pourrait me surprendre. Mais ça ne me fait ni chaud ni froid. La situation me plaît plutôt, même. J’entends les voix des gens qui s'avancent, dans le couloir. Des voix qui chahutent. Des petites voix nasillardes. Des voix chuintantes. Elles me semblent se rapprocher, sous l'effet de la caisse de résonance du passage. On a l'impression qu'elles pourraient rentrer à tout moment dans l'hôtel, et me prendre sur le vif (en flagrant délit d'inactivité sur mon canapé). J'entends leurs voix, invraisemblables du dehors... Assimbor Nibo glawob... Plutô ci plutô koi... Nassiyem Dalamidor ?
Les voix se sont estompées, à présent. Je me suis endormi. Mais au milieu de mon sommeil, des hommes ont fini par rentrer dans mon hôtel. Ils ont commencé à investir la réception. Ils n'étaient que deux ou trois, au début. Et puis ils ont continué à affluer. Ils me palpent et m'auscultent, à présent. Comme s’ils cherchaient à s’assurer que je suis bien là, dans l'exercice de mes fonctions... Je ne sais pas trop quoi faire. Je suis bien obligé de rester en éveil - et de me prêter à leur examen, ça pourrait être des types de la compagnie d'assurance... Ils continuent. On dirait des spécialistes qui vont à tout moment poser un diagnostic : "Peut continuer..." , "Dispensé..." Et puis, brusquement, ils s'évanouissent. Tout aussi fugaces qu'ils sont apparus, les hommes disparaissent, et je ne vois plus devant moi que quelques particules de poussière en suspens dans le cadre en bois de la devanture vitrée qui donne sur la galerie.
Le passage est de nouveau vide. Il règne une lumière crépusculaire. Quelqu’un s’avance, au loin. Je ne vois pour l'instant que sa silhouette, qui progresse dans le couloir, dans l’arceau de lumière béant de la galerie. Mais il est encore loin. Et je ne sais pas s’il parviendra jusqu'à moi. Le passage est tellement long, et truffé d'anfractuosités... J’ai souvent l'impression que les gens vont arriver jusqu'à mon hôtel – mais la plupart du temps ils bifurquent, happés par une porte sur le côté, ou bien interrompus dans leur progression par un embranchement qui s'offrait à eux, et vers lequel ils s'engouffrent.
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