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Publié le 27 Septembre 2022

         L’éditorialiste de droite est méfiant. Par nature, il est hostile à tout changement. Surtout si celui-ci tend à impliquer une modification de son train de vie. Il y a, certes, des crises. Et des coups de Trafalgar. Mais jamais trop de bouleversements. Ni point de tsunami. Il faut simplement savoir se serrer la ceinture, quand nécessité le demande. Faire preuve d’abnégation. En dehors de ces quelques maîtres-mots, l’éditorialiste de droite est tout entier consacré à ce que peuvent susciter chez lui les frémissements de l'économie. Revers de conjoncture ; rebond des valeurs boursières ; réformes structurelles européennes. L’éditorialiste de droite s’est depuis longtemps déporté dans une sphère où tout est gouverné par les statistiques. Ce en quoi, il n’a pas complètement tort si toutefois l’on s’accorde à penser que son obsession sur la question n’est pas maladive... Si on lui demandait, par exemple, d’aller s’installer n’importe où, en Afrique mettons, il se sentirait probablement très malheureux. Qu’adviendrait-il de son austérité ? De ses serrages de ceinture ?... L’éditorialiste de droite est LE personnage anti-africain par excellence. Dans la brousse, où la loi du plus fort règne, il ne tiendrait probablement pas plus d'une poignée de secondes. Il lui faudrait sans cesse rappeler aux lions, et aux autres fauves de la jungle, les louanges de l’austérité, et du serrage de ceinture. Ce qui n’est bien évidemment pas la préoccupation du lion, ni de la lionne d’ailleurs. En ce sens, l’éditorialiste de droite est étranger à l’animalité profonde de l'homme. Mais un peu comme celui de gauche, de son côté, nie la réalité des conditions économiques. Ni l’un ni l’autre ne sont faits pour vivre ensemble. C’est pour cela qu’ils se battent, d'ailleurs, par éditoriaux interposés, en longues et insolubles querelles de clochers qui n'intéressent qu'eux. L’éditorialiste de droite n’est pas un homme mauvais en soi. C’est simplement qu'il s'est un peu perdu dans la surabondance d'informations qui nous submergent, et que cela a fini par lui faire croire que tout est peur, risques, menaces... Il vit un peu en dehors des réalités, mais comme beaucoup d'entre nous, dans une fiction qui lui est plus ou moins accommodante. Comme celui de gauche, d'ailleurs, et tous les deux continuent de nous assommer chaque semaine en alimentant leurs sempiternels combats de coqs qui durent des éternités pré- et post-électorales, et ne semblent avoir d'autre but que de les justifier eux, en tant qu'éditorialistes, une tâche qu'ils lustrent et qu'ils chérissent pour qu'elle continue à leur assurer leur gagne-pain, et pour que tous ensemble continuions à faire tourner la Machine.

   
A venir : Le feuilletoniste de gauche

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Publié le 13 Septembre 2022

Je n’ai guère connu d’homme aussi taciturne. Il était petit, maigre, et semble-t-il fait pour demeurer dans un coin retiré de table, dans les réunions de famille. Toujours impeccablement peigné, propre sur lui, il passait des heures entières à se peigner et à se toiletter. Je crois d'ailleurs que c’est dans sa salle de bains qu’il mourut. Il usait d’une mousse à raser très odorante. Bizarrement, il empilait des tonnes de rouleaux de papier hygiénique un peu partout, dans leur appartement, comme s’il craignait un jour d'en manquer. (C'était dans ce sens un précurseur de l'obsession du manque qui gagnerait bientôt tous nos esprits, lors de la crise du covid.) On les voyait s'entasser, en haut des armoires, le long des plinthes, un peu comme ces alignements de pipe-lines qu'il avait empilés pendant toute sa vie – il était conducteur de travaux, en Algérie. Il sentait bon le frais. Ses yeux étaient rieurs. Et ses cheveux toujours départagés par une raie élégante. Je me souviens de lui comme d’un homme bon. Il parlait peu, mais toujours à bon escient. Je crois que c'est d'ailleurs de lui que je tiens cette expression : « avec parcimonie et à bon escient ». Il plaisantait souvent – toutes proportions gardées de son silence. Sans doute avait-il perdu toute illusion. Quarante années de bons et loyaux services dans le BTP avaient fait de lui un homme revenu de tout. Il conservait ses médailles dans le salon, dans un cadre en rotin doré, qu'il nous montrait quelquefois (non sans fierté). Elles retraçaient le souvenir de ses années de salariat, lorsqu'il acheminait des canalisations pour la construction d'un aéroport. Puis de déracinement. Et puis celles de l'exil. Lorsqu'ils avaient dû partir, avec femme et enfants, pour habiter un tout petit appartement dans la région de Dijon. La pilule avait dû être dure à avaler. Passer de l'horizon sans limites des paysages de l'Oranais, à l'étroitesse étriquée d'un intérieur d'Européen. Ils s'en étaient allés par la suite s'établir près de la Mer, à l'âge de la retraite. Et puis il avait vieilli, comme tout le monde. Et puis il avait fini par échouer dans l'un de ces fauteuils de salon où j'ai l'impression de l'avoir toujours vu, bizarrement, passant sa vie près de la baie vitrée, à regarder plus ou moins par la fenêtre, dans un bâillement de l'embrasure, là où se trouvaient peut-être les souvenirs de son enfance et de la mer lointaine de l'Oranais, dans une pose mutique et désenchantée.

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Publié le 28 Juin 2016

Dans ma ville, ils ont refait complètement le crédit agricole. Ils ont choisi le parti de la transparence. Vu du dehors, pour peu qu'on se colle la tête contre la vitre, on voit tout ce qui se passe à l'intérieur. Les arcanes du crédit agricole vous sont ainsi dévoilées. J'avais déjà un doute sur le fait que le directeur de l'agence jouait au solitaire sur internet. Me voilà confirmé. Quant à l'élégante chargée de clientèle qui m'a refusé trois fois un crédit l'année dernière, je sais désormais à quoi elle passe ses journées. C'est aussi ça la transparence. Parce que le monde bouge. Comme il s'agit de ma banque familiale depuis des générations, je risque tout de même un oeil à l'intérieur. Dedans, c'est tout propret, ça fait penser à un décor de sitcom, il y a des petites tablettes avec des i-pads, des machines à expresso dernière génération, des hôtesses d'accueil qui vous attendent derrière des tables gigognes remplies de bordereaux de remise de chèques. Une banque qui donne envie d'agir.

Certaines personnes entrent pour reluquer, histoire de voir (des fois qu'il y aurait quelque chose à grappiller). Les employées sont affables. On ne s'inquiète pas que l'un ou l'autre client soit interdit bancaire. Les coffre-forts n'existent plus. Les comptes bancaires, non plus. En fait, il n'y a plus rien. Dans le fond, la porte du patron de l'agence s'ouvre et se referme mystérieusement, comme la porte battante de cuisine d'un grand restaurant. Trompe-l'oeil ? Fausse salle des marchés déguisée en sanitaires pour le personnel ? Non, la porte s'ouvre sur la vision d'une petite cour, à l'arrière de l'agence, avec des chaises réunies autour d'un cendrier. C'est le coin-pause. De là, il semble possible de gagner les rues du centre ville, et la place principale. Les coulisses du crédit agricole semblent ainsi ouvertes, à tous les courants d'air, à toutes les fluctuations venues du dehors, comme désormais les banques qui véhiculent les flux électroniques, froids et informels. A l'intérieur, les automates à billets clignotent, comme des machines à sous de casino. Dans un miroir, une employée retouche son maquillage avec l'expression gênée de quelqu'un qui ne voudrait pas trop qu'on la regarde.

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Publié le 5 Avril 2016

     L’une des choses qui m’intrigue le plus, chez mes contemporains, c’est l’incuriosité. Quand on naît, qu’on est enfant, le monde est pour nous un émerveillement, on est curieux de tout. Cette propension à l’émerveillement, dieu sait pourquoi (mais plus probablement que dieu, la société le sait), on finit par la perdre. Ce qui est navrant, c’est que cela touche toutes les couches de la société (des moins immodestes aux plus démunies). Mis à part les étrangers, qui ont peut-être une raison supplémentaire d’être curieux, puisqu’ils vivent dans un contexte différent de celui qui les a engendrés. Mais est-ce la seule ? N’y a-t-il pas, dans notre société française, dans son penchant à l’autofustigation, quelque chose qui nous y prédispose ?... Vous pouvez regarder partout, ça se retrouve à tous les niveaux : les bourguignons qui sont incurieux vis-à-vis des bordelais. Les parisiens qui sont incurieux vis-à-vis des provinciaux. Et les habitants d’une petite ville de province qui sont incurieux vis-à-vis du nouvel arrivant, lorsqu'il vient troubler leurs habitudes. Chose peut-être plus étonnante encore, les gens qui sont sur les réseaux sociaux, et qui devraient s’intéresser à tout ce qui s’y passe, sont incurieux de ce qui s’y passe vraiment. D’où vient cette incuriosité ?... Y a-t-il dans les phénomènes de l’individualisme, ou dans l'agrégat des communautarismes, quelque chose qui fait que nous n’aurions plus le temps de nous intéresser à notre prochain ?...

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Publié le 29 Mars 2016

Une jeune femme que je connais s'est fait greffer un anneau gastrique (suite à un problème de surpoids). Elle était plutôt ronde quand je l'ai rencontrée. La fois suivante, elle avait perdu près de cinquante kilos, et s'apprêtait à quitter son mari. Entre temps, elle avait fait les quatre cents coups avec des amants, et avait retrouvé, selon ses dires, sa personnalité d'avant. En effet, en la voyant, on ne pouvait pas la reconnaître. La technique chirurgicale était parvenue à lui redonner son corps de jeune femme. Ses amis n'en revenaient pas. Ils la plaignaient, d'ailleurs, mais plaignaient plus encore son enfant – et puis évidemment son pauvre diable de mari, qui s'enfonçait doucement mais sûrement dans une irrésistible dépression. L'anneau de puissance, qui les avait uni au jour de leur mariage, sous la forme d'une bague de dix-huit carats, s'était glissé dans le creux de son estomac pour se muer en un anneau duodénal à même de transformer leur union en le plus hideux cauchemar. La jeune femme s'était métamorphosée Au creux de son estomac, on pouvait presque voir l'anneau scintiller de mille feux, irradiant le plexus solaire et les organes, comme le symbole de la toute-puissance que la supertechnologie de son époque lui aurait conférée.

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Publié le 10 Mars 2016

Skyline (vue de l'Air-train)

Vers 16 heures, alors que le soleil se couche, les lumières affleurent sur JFK, nimbant de rose et de violet les routes qui mènent toutes vers New York. Nous roulons en train express. L’horizon évoque une ville de science-fiction, avec la skyline qui se détache dans le lointain, et les grands parvis vides qui se découpent, tels des créneaux. Une ville qui paraît sans hommes… Dans le métro, les appareils à composter ressemblent à des machines de casino, avec leurs disques clignotants, et leurs vaines sonneries tintinnabulantes. C'est dans une ville vide, sans hommes, que nous sommes accueillis. Là encore, personne ne semble se précipiter pour rentrer du travail, ou pour aller faire des courses – à une heure pourtant avancée de la journée. C'est comme si Manhattan avait été déserté, et ses artères vidées de leur substance...

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Publié le 16 Février 2016

  

 L'année dernière, à la même heure, je prenais le poste de professeur des écoles-remplaçant dans la cité du Londeau, à Noisy-le-sec. Je m'en souviens comme si c'était hier. Le temps était clair. Les tours de la cité se découpaient de façon particulièrement ciselée, sur le ciel bleu. L'inhumanité de ce bout du monde m'apparaissait, dans son éclatante crudité. Les cours d'écoles étaient compartimentées, dans un grand enclos de tours. Partout, des parkings à l'abandon débordaient de voitures, de moteurs démontés, de pneus crevés. On ne pouvait pas faire un pas sans tomber sur la vue d'un campement, ou d'une bretelle de circulation peinturlurée de partout. Tout était laid. Il n'y avait pas le plus petit espace de respiration pour les gens, en dehors de la scintillation sporadique d'un rayon de soleil qui jouait, ici ou là, sur les capots. Les élèves étaient tous d'origines rom, portugaise, maghrébine, etc... Les instituteurs répandaient une savante aura d'intimidation dans leur sillage, faite de la brutalité dont ils auraient besoin pour se protéger. L'un d'eux devait d'ailleurs m'avouer au bout de cinq jours : « C'est en travaillant ici que j'ai découvert ma propre cruauté ». Les écoles du 9-3 sont pour la plupart dans un tel état d'abandon. Un professeur par semaine y tombe en dépression. S'il y avait un espoir, dans les années 80, celui-ci s'est éteint sous des décennies de démagogie, et de surenchère dans la perte d'autorité. La cité du Londeau est un exemple de cet échec, avec ses voitures qui serpentent, le long des parkings, et ses tours s'élevant comme des coups de poignards dans le haut ciel indifférent. Un jour viendra où plus personne ne voudra venir enseigner ici...

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Publié le 20 Novembre 2015

Ce texte a été écrit à la mémoire de David, tombé au Bataclan le 13 novembre 2015

J'ai rencontré David par le biais d'une nounou que nous avions en commun. Au début, il m'a paru très volubile. La première fois que nous avons échangé, il s'est répandu sur la façon dont il ne parvenait pas à s'entendre avec sa patronne du moment. J'ai appris à le connaître. Il a toujours beaucoup plus parlé que moi. Pour autant, l'intérêt de ce qu'il disait l'emportait sur la fatuité du soliloque. Il avait une pensée à lui. D'aucuns diraient qu'il vivait dans son monde. Mais je m'entends plutôt bien avec les gens qui sont dans leur monde - et, si je ne partage pas forcément le même monde qu'eux, je comprends bien qu'ils en aient un pour lutter contre celui que nous avons en commun. Il était féru de chiffres, de statistiques. Jamais je n'ai rencontré de gens connaissant autant de chiffres. Ça pouvait passer pour une démonstration de force. Mais il était suffisamment ouvert pour vous les communiquer avec ferveur. Il voulait aller au fond des choses. Son obsession de tout ranger dans des petites cases (sans doute pour mieux comprendre le monde, je suppose) se doublait chez lui d'une grande générosité. Quand il accueillait les enfants, il beurrait leurs tartines, et leur faisait prendre le chocolat devant la télé. J'aimais particulièrement cette façon qu'il avait de s'occuper des enfants. Il se présentait comme un « accompagnateur d'enfants », probablement soucieux de ne jamais les rendre dépendants de sa personne.

C'était un type qui avait le cœur sur la main. Dans les débats, il ne « lâchait rien », comme on dit. Il se mesurait avec les parents, avec les intellectuels, avec les profs. Rien ne lui faisait peur... Il avait seulement une certaine méfiance envers les universitaires, dont il avait fait partie. Il voulait avoir son chemin à lui. Je crois qu'il l'a eu. Professionnellement, il n'a pas eu le temps de briller, car le dernier métier dans lequel il s'était reconverti (prof), après une carrière pourtant prometteuse dans le journalisme, ne l'a malheureusement occupé qu'une seule année. Mais il était de toute façon disproportionné pour ce métier, et je le lui avais dit, il avait une trop grande capacité intellectuelle, qui l'amenait à plaquer des concepts parfois trop abstraits sur des tâches simples comme découper une feuille, ou coller un polycopié. Cette grande capacité, en aucun cas, ne le handicapait (il aurait fait un excellent professeur). Mais elle faisait craquer les coutures... Tout en lui était surdimensionné. Physiquement déjà, il était grand. Il ressemblait à un dieu grec, plus ou moins avachi, avec ses yeux plissés par les lunettes, et son visage toujours volontiers riant dans sa crinière léonine. A cela s'ajoutait son dada pour les vélos, qu'il pratiquait de longue date. Je ne m'intéressais pas particulièrement à ça, mais il avait une véritable passion pour les pièces rares de l'artillerie cyclopédique, qu'il savait démonter et remonter en un rien de temps.

C'était son côté bobo. Il ne l'était pas beaucoup, en dehors de ça, car il avait une pensée à lui. Il en avait conscience, et c'est ce qui nous a poussés un jour à échanger, sur le palier de l'immeuble. Il était particulièrement volubile à propos de certains éléments de sa vie. En quelques minutes, il se mettait à vous déballer toutes ses petites histoires. Comme beaucoup de gens, il traînait pas mal de casseroles, et c'est de l'en avoir entendu parler tellement de fois qui me donne aujourd'hui l'impression de si bien le connaître. Il se confiait sans retenue. Ce n'est pas tant l'absence de pudeur que l'extrême volubilité dont il faisait preuve, qui me revient – l'absence de limites, presque...

Il disait volontiers que son rêve était de rentrer un jour suffisamment ivre pour pouvoir zigzaguer sur son vélo sans même s'en rendre compte. A côté de cela, il était très prévenant avec les gens. Mais la volonté qu'il avait de renouer avec un certain passé punk-rock qui lui a fermé douloureusement les portes, ce vendredi treize, était profondément ancrée au fond de lui...

Il voulait brûler sa vie. Lors d'une de nos dernières soirées, il m'a confessé que pendant ses années étudiantes, il allait dans des concerts où les « roadies » lâchaient des cagettes remplies de canaris vivants sur la foule. David faisait partie des spectateurs du concert de Eagles of Death Metal, ce vendredi treize novembre. Il voulait repousser les limites. Je ne lui ai enseigné pour ma part que le maigre bagage de la connaissance du vin. Il était de jour en jour plus amateur, et nous nous voyions de plus en plus souvent. C'était en train de devenir un ami... Les terroristes l'ont enlevé au moment où il commençait à s'ouvrir, et à apprécier son nouveau métier. J'ai l'impression qu'il était sur le point de connaître une renaissance. Lors de notre dernière soirée, il a débouché une bouteille de vin du Roussillon en me montrant le nom sur l'étiquette : Ne jamais renoncer. Je l'ai encore en mémoire, à travers le voile de mes yeux brouillés par l'émotion. C'est la dernière image que j'ai de lui, avec cette poignée de main que nous avons échangée devant l'école, peu avant qu'il ne s'en aille aux cotés de son vélo vers son impitoyable destin. Celui de figurer parmi les 89 victimes du Bataclan, ce vendredi treize novembre, autant dire un monstrueux gâchis pour un homme qui avait voulu voler si haut, s'était brûlé les ailes, et restera pour toujours dans la mémoire de ceux qui l'ont connu comme un personnage hors normes pour sa générosité extrême et son goût prononcé pour certains états proches des limites.

19/11

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Publié le 15 Septembre 2015

S’il était possible de comparer une île à un parfum, je dirais que l'île de « Mljet » s’apparente au bouquet d’un grand vin. Tout au long de ma traversée, j’ai eu l’impression de mettre mon nez dans un verre de grand cru. De préférence méridional, avec des arômes de zan, d’eucalyptus... L'île est fauve et exubérante. Dès le débarcadère, on sent que tout y est olfactif. Comme les animaux, c'est un endroit d’instinct. Je m'y suis senti sans arrêt sollicité. Odeurs de pins, de garrigue, de résine. On voit que le soleil a joué son rôle dans l’exubérance de cette nature. Il a usé les troncs, excité les insectes. Tout bruisse, tout craquette. L’originalité de l'île de Mljet est de comporter un petit lac d’eau tiède qui titre rarement en dessous de 30°C. Il est alimenté par des courants de mer chaude, qui changent toutes les six heures de sens. Je m'y suis baigné, et on dirait l’eau du bain ! Ça rajoute à l'impression de nature bouillonnante. On ne se sent jamais seul. On marche sous des quintaux de cagnard. Au loin, un petit monastère qui date de l’époque romaine scintille, sur son îlot. Sa silhouette est miroitante. On raconte que l’île de Mljet aurait été visitée par Ulysse, à l'époque de son périple. C’est cela dit le cas de tout un tas d’endroits en mer Méditerranée. Il en aurait tiré, si c'était vrai, un vin inouï, fait de subtils arômes de cèdre, de menthol et de truffe qui font toute la noblesse et le bouquet de cette capiteuse île de Mljet.

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Publié le 28 Juin 2015

Quelquefois, quand je vais au parc municipal des sports, il y a un petit homme sur le côté, qui s'entraîne à faire des poids et haltères. Il est plutôt trapu, musclé, bien fait de sa personne. Il porte et reporte des charges à un rythme effréné, sans jamais faillir. C'est curieux. J'imagine qu'on pourrait se dire qu'il s'agit d'un pervers, ou un exhibitionniste. Mais je ne pense pas. Il est plutôt jeune, et il regarde les gens passer avec plus de curiosité que de convoitise. Il porte des charges fabriquées main, composées de pierres ou de gravats, qu'il enroule ensuite dans du tissu - comme des poings pansés. A la fin de chaque séance, il va les mettre sur le côté. Je l'ai regardé faire... Il tourne d'abord autour du court de tennis numéro sept, et puis il regarde partout, comme pour bien vérifier qu'on ne le suit pas. Une fois rassuré sur ce point, il s'enfonce dans le petit bois. Là, il va cacher son bien sous des buissons, dans des broussailles. (Je le sais, j'ai eu l'occasion de tomber dessus.) En agissant comme ça, il me fait penser parfois à un personnage de contes de fée... Qui cacherait ses pierres dans les bois, sous les broussailles, pour être sûr qu'on ne les retrouve pas. Et qui ensuite viendrait les rechercher, d'une fois sur l'autre. Il passe des heures comme ça, sous le cagnard, au stade, à soulever ses charges qui pèse deux fois son homme, avec un air de fier-à-bras. Et il regarde les gens - comme s'il voulait vous signifier que jamais, au grand jamais vous ne serez aussi fort que lui. Alors, quand il va dissimuler ses pierres à la fin, il me fait penser à une sorte de farfadet, grandi dans ces tours d'immeuble, que la société du regard des autres aurait peu à peu contraint à endosser des habits de petit poucet1 pour donner corps à sa mythologie concentrationnaire et désoeuvrée.

1 short et petites tennis souples, haut de cycliste moulant

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