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Publié le 23 Octobre 2014

   Connaissez-vous les Ouzbeks ? Ce sont des gens bien sympathiques. Un peu nonchalants, et dont le sens de l’humour ne m’est pas forcément apparu dès les premiers abords. J’étais ce jour-là devant les vitres d’un bureau de change, dans un grand hôtel, et j'attendais que l’une des trois employées de ce guichet daigne lever les yeux vers moi. Il était bientôt 13 heures et, sans que j’en sois encore conscient, c’était l’heure du déjeuner. Derrière les vitres, l'agitation régnait. Les employées commençaient un peu à se disperser. Il était 12h57, exactement, je me souviens, à l’horloge monumentale qui coiffait notre guichet, lorsque l'une des employées ferma le volet qui se trouvait devant mon nez, tel un claquoir : « It’s closed ! » asséna-t-elle, avec une petite moue irrésistible. J'eus un moment de recul. En arrière-plan, dans le bureau, les deux autres employées jouaient à se porter l'une l'autre, dans un méli-mélo de corps plutôt cocasse. (La première prenait l'autre sur son dos, et l'autre se penchait pour la faire basculer en arrière). Je me mis à cogner contre la vitre : « Hé, vous trouvez ça normal, vous, que j'attende un quart d'heure derrière la vitre sans que vous disiez rien ?... Vous l'avez fait exprès ? ». Pour toute réponse, la guichetière se contenta de hausser les épaules : « If you're looking for change, come back after the lunch !... ». Et quelques instants plus tard, toutes trois ressortaient du bureau, par l'une des portes latérales, en se suivant comme des majorettes, levant bien haut les genoux en direction du réfectoire.

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Publié le 30 Septembre 2014

Ron est américain. Il est âgé de trente-neuf ans, porte une moustache poivre et sel, et une paire de lunettes en cul de bouteille. En prenant place à côté de lui, dans l'avion, je ne sais pas encore ce qui va m'arriver. Ron m’a mis le grappin dessus. Il aime les "petits français", comme il dit, surtout depuis que ces derniers ont décidé d’entrer en conflit aux côtés des Etats-Unis. (Nous sommes en 2001, et la guerre en Afghanistan vient d'être déclarée). « Thank you for helping us ! » m’assure-t-il, avec un clin d’oeil complice. Supposant qu’il fait allusion au conflit que se livrent depuis peu G.I.'s et Talibans, je lui réponds que je n’y suis pour rien.

Quelle n’est pas mon erreur... En lui avouant que je ne me mêle pas trop de politique, je prête le flanc à Ron, dont l’intention était simplement d’entrer en conversation. L’avion pour Paris décolle, je relève la tablette de mon siège. J'ai l’impression de m’allonger comme chez le dentiste, quand il vous parle, et que vous ne pouvez pas lui répondre. – Mais si, renchérit Ron, en me souriant de toutes ses dents, il est indispensable que les pays occidentaux s’entraident. Et même si les Français ont mis un peu plus de temps que les autres à se décider, mieux vaut tard que jamais... Je recule sur mon siège, dépité. Comme la plupart des dentistes, Ron est habitué à faire les questions et les réponses. – Et savez-vous ce que Churchill a dit que serait la France, si c'était un métier ? – Ha ! ha ! Qu'elle serait prostituée !... Progressivement, la voix de Ron s’emmêle au ronflement du moteur. Je n’entends plus qu’il me dit. Un repas est servi. Puis la lumière s’éteint et, tandis que la voix de Ron continue à s’insinuer comme une berceuse, j'attrape les boules kyess dans le kit qu’Air France nous a donné devant moi. J’observe un moment son visage, bienheureux, sa bonhomie de badaud. Les bords intarissables de son intarissable moustache. Il reste huit heures de vol.

J’apprendrai le lendemain par un ami qui voyageait dans une autre partie de l'appareil que se trouvait à ses côtés un autre épouvantable bavard, italien de surcroît, et qui ne cessa de se plaindre pendant toute la nuit d'avoir une rage de dents !

(2001)

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Publié le 25 Septembre 2013

Cet article clôt le cycle que j’ai entamé sur les personnages qui m’ont marqué dans le passage Jouffroy – quand j’y travaillais.

     Un soir, un petit bonhomme dont je reconnais l’accoutrement pénètre dans le hall de réception. Il s’agit de Monsieur D, un client de longue date de l'hôtel. Il a un style reconnaissable : il fume sans arrêt une longue pipe, dont la fumée envahit tout le hall. Il porte un béret basque, et une canne-épée (ne me demandez pas comment je sais que c'est une canne épée, je le sais, c'est tout). Il arbore cela avec bonhomie, comme une sorte de prolongement de sa personne. Cela va bien avec son côté trapu, crâne chauve, renfrogné. Je ne lui connais pas d’amis. Il semble solitaire. En tant que client fréquent des salles obscures, il est passionné par le cinéma. Ce soir, il revient justement d'un film qui vient d'être projeté : In the mood for love, de Wong Kar-Wai. Il m'en parle avec effusion. Il va et vient, dans la salle de réception : « Vous savez, jeune homme (à cette époque on me donnait volontiers du jeune homme), dans ce film il y a tous les ingrédients d'une esthétique de l’attente. C’est un homme qui est amoureux d’une femme. Laquelle ne peut pas l’aimer, évidemment, et alors il l’attend. Mais elle aussi l'attend, car elle le désire secrètement – et ce bien qu’elle ne le dise pas... Ah c’est si beau, vraiment ! » Je ne crois pas qu’il y ait de sa part de volonté d'être condescendant. C’est simplement dans sa nature de dire les choses comme ça, plus ou moins allusivement, sans aller droit au but. « Je me demande, conclut-il en laissant pendouiller sa pipe sur le côté, s’il n’y a pas dans ce film tous les ingrédients d'une esthétique de l’attente ?... Il l’attend, et elle l’attend aussi, et tous les deux s’attendent mais leur amour est impossible !… ». Je m’imagine alors qu’il va se saisir du Télérama qui est posé sur la table de la réception, et continuer à me seriner. Mais non, il finit son laïus et me plante là, dans le hall. Il part se coucher. Je reste seul dans la réception. Je prends le temps de réfléchir à ce qu'il m'a dit. Je suis assis derrière mon comptoir, il est tard, et tous les clients sont déjà rentrés. Les lumières sont toutes éteintes, dans la galerie. On ne voit presque rien. Et je repense à qui m'a dit... Une « esthétique de l’attente » ?… Je voudrais bien l'y voir.... N’est-ce pas ce que je vis, justement, chaque soir ?... Attendre les clients. Leur donner leur clef. M'astreindre à exaucer le moindre de leurs caprices… Je n’avais pas encore vu ce film à l'époque. Mais j'ai depuis corrigé ce défaut – et je dois bien avouer que Monsieur D. avait raison. C'est un très grand film. Il y a dedans toute une recherche autour de l'attente, à travers la description d'un amour manqué, celui de deux êtres qui se recherchent tout en se fuyant. Et je revois non sans émotion ces longs travellings qui se déroulent comme dans un rêve, faisant se croiser les deux protagonistes en haut d’escaliers qui semblent inexpugnables, sur un fond de musique désormais connu dans le monde entier. Mais tout de même, me parler à moi, d’« esthétique de l’attente »... Ce ne sont pas des choses qu'on dit à un veilleur de nuit !

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Publié le 5 Septembre 2013

 

Après avoir planté le décor du passage Jouffroy (lien), j’évoque ici les personnages qui l’habitent.

Le patron avait un ami qu’il hébergeait souvent dans une des chambres. C’était au rez-de-chaussée, plus ou moins à l’écart, et il ne la louait presque jamais parce qu’elle avait les toilettes sur le palier. Quand elle était libre, l’inventeur pouvait y séjourner, et assouvir envers le personnel son caractère envahissant. Plus encore qu’inventeur (car ses rares inventions n’étaient encore que plus rarement brevetées), je crois que l’on pourrait parler de lui comme d’un raseur. Partout où il allait, il profitait. Du buffet, des invités, de la nourriture. C’est une chose que je comprends bien car j’ai longtemps agi de la sorte. Mais lui le faisait avec brio, et revenait systématiquement des soirées où il était allé avec tout un stock d’invitations qu’il me faisait miroiter, je me souviens, en les déployant devant les yeux, comme s’il s’agissait du graal du night-clubber parisien. Je crois que c’est comme ça qu’il se nourrissait : il ne devait pas avoir beaucoup d’argent... Il était originaire d’Aurillac, mais passait la plupart de son temps à Paris, pour traquer les bonnes affaires. Son plus gros coup avait été un slogan pour promouvoir le tourisme dans sa région : Cantalons-nous dans le Cantal ?... placardé sur des petits autocollants, un peu partout. C’est à ce relatif succès que notre patron lui allouait sa confiance. Mais notre inventeur n’en redoublait pas moins de créativité pour dénicher une invention qui lui permettrait d'asseoir sa réputation. C'est ainsi que je fus mis au courant de sa dernière trouvaille... L'étalon à pièces. A cette époque, le passage à l’euro était devenu effectif, et les caddies de supermarchés nécessitaient de la petite monnaie pour être actionnés. Notre inventeur avait inventé un système qui permettait de créer de la fausse monnaie, qu'il découpait dans le carton d'une carte bleue, ou d'une carte de fidélité, pour ne pas avoir besoin de se munir de pièces quand on partait faire ses courses. Révolutionnaire, non ?... Mais son invention ne s’arrêtait pas là. Elle permettait, à l’heure où tout le monde était perdu avec les euros, de comparer les différents formats de pièces avec son patron, qu'il avait découpé dans lesdites cartes. Comme ça, impossible de se tromper : il suffisait de les insérer dans le pochoir prédécoupé, et d'en déduire lesquelles correspondaient au format de deux euros, de un euro, de cinquante cents, etc… Hélas, mille fois hélas, notre homme ne devait pas trouver preneur à son invention. Il ne se doutait pas que, d’ici quelques années, une flopée de fausses monnaies en plastique transparentes déferlerait sur le marché, rendant parfaitement inutilisable son idée pour caddies de supermarché. Mais c’était sa naïveté et, pourrait-on dire, son faix, que de se croire le dépositaire d’une idée géniale alors que tout le monde était déjà passé à autre chose... Il faut penser que notre patron se fit bluffer par lui pendant un bon moment. Il l’hébergea plus de trois ans. De temps à autre, l’inventeur sortait la tête par l’embrasure de la chambre 3, et il me demandait de lui apporter une serviette, ou une boîte de mouchoirs, ou je ne sais quoi qui pourrait le dépanner. Je m'exécutai. Quand il m'ouvrait la porte, je le voyais se déplacer, dans sa chambre, assez maladroitement, abandonnant ici ou là dans son sillage une partie de la petite monnaie qu'il avait utilisée pour élaborer ses "prototypes". Dans le fond, sur des cintres, s’ordonnaient par ordre de taille et d'importance les différents costumes dont il se servait pour mystifier ses interlocuteurs dans les soirées. Et puis je repartai, en direction de mon hall de réception, où je tombai généralement par hasard sur le fameux tract qui l'avait rendu célèbre, épinglé sur un recoin de comptoir : Cantalons-nous dans le Cantal ?

 

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Publié le 4 Juillet 2013

Punta Arenas

Après une escale à Santiago (ville sans grand intérêt, essentiellement délabrée), nous nous retrouvons à Punta Arenas pour la nuit de la Saint Sylvestre. Le 31 décembre dans un lieu reculé du globe est une expérience que j’ai déjà vécue en Argentine. Aussi m’empressé-je d’entraîner ma compagne sur les plages du détroit de Magellan, en vue d’y déguster une coupe de champagne made in Chile. Nous usons pour ce faire de petits gobelets télescopiques. C'est-à-dire qu'ils peuvent se développer, dans le sens de la hauteur, pour devenir une coupe ou un gobelet. Mais bizarrement, aussitôt le verre rempli, pour peu que les gouttes dégoulinent sur le rebord, l’aimantation qui soutient les différentes parties de l'ustensile perd de ses vertus, et le verre dégringole. La descente, comme on dit, en est facilitée.  Bien qu’un peu gris, le froid aidant, nous nous replions vers la Pension Dinka’s. Une demi-douzaine d’Italiens attendent l’heure fatidique en se gobergeant. Voix stridentes, rires forts et gras, gobelets qui s’entrechoquent au-dessus des tables. En arrière-plan, la pensionnaire Dinka bougonne un peu : « Faudrait quand même voir à pas nous faire la nouba toute la nuit ! ». Nous nous installons. Inutile d’espérer avoir la moindre conversation. Tout est ourdi en vue de l’instant ultime, de l'apothéose sublime des douze coups de minuit. Certains ont beau avoir l'air d'ébaucher des bribes de conversation, tous ont les yeux rivés en direction de la pendule - et, dans l’horloge interne que constitue le tic-tac de leurs coeurs réglés à l’unisson, un seul événement compte. Minuit, finalement, sonne et, tandis qu'un petit homme à l'embonpoint prononcé revient des toilettes où il s’était probablement oublié, tous ont fondu dans les bras l’un de l’autre. "Feliz año nuevo ! Feliz año nuevo !..." Oh, mais c’est tout juste si le pantalon ne lui en tombe pas, à ce petit bonhomme, tant l’idée d’avoir pu manquer ne serait-ce qu’une seconde de l'instant fatidique lui paraît infamante. "Attendez-moi ! Moi aussi j'ai plein de choses à vous dire !..." Là-dessus, un guitariste met tout le monde d’accord, en entamant les notes d’un vieux standard connu de tous. Et la soirée se poursuit, dans l'ivresse et les gauloiseries. Pour parler franchement, je n’ai rien contre les Italiens. Mais il faut quand même avouer que ce sont parmi les gens les plus bruyants du monde. Le lendemain matin, à l’heure où la fête est terminée, tous sont déjà debout, sur le pied de guerre. Ils investissent la salle de vie. Et, tandis que les premiers accords résonnent, j’entends par la voix d'un employé qui doit travailler dans le couloir que notre groupe compte s’envoler séance tenante pour l’île de Pâques – où il a bon espoir, compte tenu du décalage horaire, de fêter une seconde fois le Nouvel an.

 

Punta Arenas

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Publié le 23 Juin 2013

     

      Le rôti est prêt

      C’est dimanche

      Midi

 

(Contrairement aux apparences, ce haïku m’a demandé des semaines de travail, ne serait-ce que dans l’observation, fine et répétée, des choses de la vie telles qu’elles sont à cette heure précise et en cette occurrence décrite par le haïku. Suggestif s’il en est, tout en non-dits et en nuances, vous le remarquerez, quant au lieu des hostilités et à la température de cuisson.) 

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Publié le 3 Juin 2013

 

    Nina est prostituée dans le Matabiau. Elle porte une petite jupe beige, qui n’est pas de saison, et un body serré avec des tulipes mauves. Pas grand-chose de plus, je crois. Elle travaille rue Héliot, entre un vieux sex-shop et un distributeur. Les gens vont de l’un à l’autre, ou de l’autre à l’un, c’est au choix : tous les chemins passent par Nina. Ça la change du temps où elle faisait les cent pas le long du canal. Alors y’en avait vingt comme elle, toutes plus pute l’une que l’autre, ras-la-fine et jarretières, poitrine sur la balustre, alignées comme les heures successives de la journée. C’est peut-être pour ça qu’on l'appelle le « canal du midi ». Y’avait la pute d’une heure, la traînée de deux heures, la pouffiasse de troize, j’en passe et des meilleures... Sauf que l’quatorze juillet, justement, y'a de ça deux ou trois ans, Nina s'est vue emmenée par un fourgon de police. Gérald et Marcellin, justiciers toulousains, lui expliquèrent que les élus ne supportaient plus de voir les abords du canal infestés de « péripatéticiennes ». Toulouse avait beau être la ville rose, ça faisait quand même un peu tâche. Dorénavant il serait par conséquent souhaitable qu'elle travaillât là, lui avait désigné de l'index la main de Gérald en se posant sur la grande carte murale de leur bureau. Et c'est ainsi que depuis, Nina fait les trois-huit le long de la rue Héliot. C’est elle la pute d’une heure, la traînée de deuze, la pouffiasse de troize, l’entremetteuse de cinq, la lèche-grappe de six, la mange-zbeuh, la vide-queue… Et comme Nina a quand même voulu conserver sa dignité, elle s’est acheté un petit portable, dont elle se sert régulièrement pour faire semblant de téléphoner en levant les yeux au ciel avec des airs impatientés.

        (Toulouse, 2001)

 

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Publié le 17 Mai 2013

   

    Il m’est difficile de parler de Chiloé sans évoquer la pluie. Celle-ci nous accompagna d’un bout à l’autre de l’île, à la manière d’une ritournelle, petite bruine matinale ou gros grain de midi, averse entrecoupant nos randonnées, ou lointain orage transperçant de ses éclairs tonitruants le ciel pesant du crépuscule. A l’instar de ses cinquante variétés de pommes de terre, l’île de Chiloé comporte un assez grand nombre d’intempéries. Je ne peux donc avoir d’opinion réellement favorable de cette île, en dehors de ce que j’ai pu supputer de sa beauté, comparable à l’Irlande, avec ses grandes étendues de terres parsemées de bruyère, et ses ballons de verdure traîtres à la montée comme à la redescente. Son folklore grouille de mythes – au nombre desquels le soleil, à mon avis, devrait pouvoir faire partie. A l'image de sa cousine européenne, l'île de Chiloé a su inspirer bon nombre de poètes, par sa désolation, sa rudesse, et favoriser l’éclosion de pas mal de légendes. Parmi elles, la personnalité du « Trauco » m’a paru plus intéressante. Elle est le sujet d’une nouvelle de Francisco Coloane, écrivain chilote unanimement reconnu pour la richesse de ses atmosphères de bout du monde.220px-Trauco Il l'évoque dans le recueil intitulé « Le golfe des Peines», que je me suis fait fort de lire au moment de la traversée du golfe du même nom. Il s’agit d’une sorte de nain hideux, à la constitution débile, à l’étrange chapeau de paille et aux gros pieds difformes. Il attire les petites filles pour les violer. Il ensemence ensuite en elles la graine d’un enfant monstrueux, qui naîtra plusieurs mois plus tard dans d’atroces souffrances, et au milieu de la famille épouvantée. D’une certaine prémonition, ce personnage m’a paru d’autant plus pertinent qu’il est développé avec humour par Coloane, lequel joue de hardiesse lorsqu’il confronte la figure de ce monstre avec les témoignages des différents maris cocufiés partis en mer. Tantôt porté à croire au personnage, tantôt à le désavouer, le lecteur se retrouve ballotté entre les différentes versions des protagonistes qui, de la fille à la mère en passant par les amis du père, rivalisent de vilenie en concèdant leurs propres négligences. On en arrive à ne plus savoir qui est qui, et qui dit la vérité. S’ils ne sont pas tous coupables. Y compris la jeune fille : après tout, quelle idée d'aller jouer les tentatrices auprès du Trauco ?... C’est là l’habileté de Coloane d’avoir réussi à semer un tel sentiment de confusion que l’on en vient à trouver le Trauco presque attachant, et à se raccrocher à sa figure consolatoire. Ce dernier prend alors les traits d’un amusant nain de conte de fées, avec sa coiffe de légumes et ses gros pieds patauds, et semble endosser toutes les projections de nos perversions. D’une certaine façon, le Trauco m'a paru s'apparenter à certains de ces boucs émissaires que notre société développe désormais à tour de bras (les pervers, les pédophiles, les exhibitionnistes...). Avec son allure de badaud mal léché, c'est tout à la fois la figure du mâle émasculé, et celle de l'ogre déraciné (à l’instar d’Abel Tiffauges, par exemple, le héros du Roi des aulnes). Il  semble absorber, par son étrange plasticité, toutes les déviances et les excentricités d'une société devenue libidineuse à l’excès.

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Publié le 12 Avril 2013

    Impatience en toute chose. Ce matin, je dois aller rechercher ma voiture qui est tombée en panne avant d'être remorquée jusqu'à Draguignan. Je n’ai rien à prévoir. L'assurance, Inter Mutuelle Assistance, se charge de tout. A 7h45 précises, un taxi doit venir me prendre à mon hôtel pour m’emmener à la gare de X.
  « Vous devrez retirer vos billets avant 8h00 » me rappelle mon interlocutrice téléphonique d’Inter Mutuelle Assistance. « Attention ! Je vous donne les références :
   Q, comme Québec...
   G, comme Gérard...
   E, comme Heloïse...
   – H, vous voulez dire ?
   Elle dit : non, E. Pourquoi ? Ça ne s’écrit pas comme ça ?
   Je dis non.
   Elle dit bon. Elle dit B, comme Bon, c’est la lettre suivante d'ailleurs. Je dis OK. Elle me dit non, pas O-K, elle me dit Bon, B comme Bon. Je dis Bon.
   Et on recommence.
   Q, comme Québec, ou bien comme Qunégonde.
   Je dis Québec serait préférable.
   Elle dit peut-être mais c’était pour changer.
   Je lui dis que pour changer, ça change.
   Elle me demande alors pourquoi, et pourquoi est-ce que je l’interromps tout le temps. Je lui dis que Cunégonde, ça ne s’écrit pas avec un Q, mais avec un C comme Canada.
    Elle me dit pourquoi pas, et on reprend au G. G, comme Gérard... »
   De la gare de X jusqu’à Draguignan, le train met à peu près une heure. De là, un second taxi m’attend pour me conduire au garage de M. Son chauffeur s’appelle Marcello. Je me retrouve quelque temps plus tard au numéro 1046 de la route nationale 555, dans un garage-concessionnaire Peugeot, où je m’entends dire que ma voiture n’a pas le moindre problème, qu’elle aurait pu rester là où elle était, et qu'elle n'a semble-t-il subi qu'un petit coup de chaud au niveau du moteur

   C-Q-F-D.
   Je remercie Inter Mutuelle de m’avoir assisté.

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Publié le 11 Avril 2013

     Après réflexion, je me permets d’ajouter ma modeste contribution au passage que j’ai posté hier de Gombrowicz, en l’adaptant aux tendances de la littérature contemporaine :

         LE POEME

         Les horizons éclatent comme des bouteilles
         Une tache verte gonfle sous les nuages
         Je reviens à l’ombre des pins –
         D’où
         J’aspire d’une bouche avide
         Mon Printemps quotidien.

         MA TRADUCTION

         Je n’ai rien à dire mais je l’écris si joliment
         Je n’ai vraiment rien à dire mais qu’est-ce que je l’écris joliment !
         O si joliment
         Joliment…
         N’est-ce pas que je l’écris joliment
         Ce que j’écris sans avoir rien à dire ?

 

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